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Berlinale X FrenchMania (2) : Côté, Lapid, Varda

par | 15 Fév 2019 | CINEMA

Du 7 au 17 février, la planète cinéma se retrouve à Berlin. De la compétition officielle à la section Panorama, qui fête cette année ses 40 ans, en passant par les découvertes de Forum ou Génération, FrenchMania se penche sur les films français et francophones sélectionnés au festival de Berlin. Aujourd’hui, l’épisode 2 avec Répertoire des villes disparues, Synonymes et Varda par Agnès.

Partir, c’est rester un peu

Dans le film du québécois Denis Côté, les morts ne partent pas vraiment, ils restent dans le village, murés dans le silence. Chez l’israélien Nadav Lapid, Yoav quitte son pays, Israël avec une volonté farouche de devenir français sans jamais réussir à gommer les stigmates et traumatismes qu’il a en lui. Enfin, Agnès Varda nous offre un joli tour de piste en guide d’au revoir, un film-bilan personnel, une autobiographie subjective. Mais qui a dit que c’était un adieu ? Ces trois films le prouvent, partir c’est toujours rester un peu.

“Répertoire des villes disparues” de Denis Côté – © Lou Scamble

Denis Côté est un cinéaste passionnant qui ne se répète jamais. C’est dire la stupéfaction devant la simplicité et la poésie de son nouveau film, tourné en 16mm et inspiré d’un recueil de textes duquel il tire son titre et “à peu près 5% de son contenu” selon le réalisateur québécois rencontré par FrenchMania (interview à lire ces prochains jours). Répertoire des villes disparues, c’est un film de genre, choral. L’humour y est décalé et la beauté, spectrale. Si le village isolé d’Irénée-les-Neiges est peuplé d’exactement 215 habitants, après le décès de l’un d’entre eux dans un accident de voiture, les 10 personnages que le film suit de près se rendent compte qu’il beaucoup plus d’âmes. De la famille Dubé, celle du jeune homme qui s’est volontairement crashé sur un arbre à la Mairesse de la bourgade, tout en passant par l’incroyablement perchée (dans tous les sens du terme) Adèle, c’est une dizaine de personnages que nous allons suivre dans cet état des lieux d’un village confronté à l’inconnu, au surnaturel ou, tout simplement à l’autre, à la différence. C’est beau, presque noir et blanc, et rien du propos de fond (la xénophobie, l’isolement, le repli) n’est souligné. Film d’entre deux mondes, cotonneux et ouatée, où effleure toujours, par petites touches, une espèce de merveilleux inquiétant qui fuit les effets. On est conquis par ce film en apesanteur qui, on l’espère, fera retrouver à Denis Côté le chemin de salles françaises qui n’ont pas eu la chance de projeter ses deux précédents films (Boris sans Béatrice et Ta Peau si lisse).

Tom Mercier dans “Synonymes” – Guy Ferrandis – SBS Films

C’est peu dire que Nadav Lapid frappe un grand coup avec son nouvel opus Synonymes. Pour son premier film francophone (et parisien), le réalisateur israélien nous projette dans la vie de Yoav, jeune isrélien qui fuit la violence de son pays pour tenter de trouver un avenir à Paris, ville idéalisée de la liberté et de la beauté. Lapid le dit, Synonymes est inspiré par son exil parisien du début des années 2000, de son obsession pour le dictionnaire français, et c’est sans doute son film le plus personnel, le plus brut. Brutal même. Un film mal-aimable, violent et parfois même malaisant mais passionnant et porteur d’une force qui étourdit. Entre marches frénétiques dans un Paris rarement vu comme ça au cinéma et “mauvaises fréquentations” qui le ramène à ce pays dans lequel il ne veut pas rentrer et dont il ne veut plus parler la langue, Yoav va rencontrer Caroline et Emile, un jeune couple bourgeois. Le trio Yaov, Caroline et Emile, c’est Jules et Jim version SM, des tensions sexuelles tous azimuts, du désir, de l’amour, de la haine, de l’envie, du mépris. Il fallait bien trois personnages pour illustrer ce qui ne peut se résumer à une dualité comme la relation si particulière d’Israël à la France, de la France à Israël. En plus d’être un film d’une force inouïe, Synonymes révèle un acteur phénoménal : Tom Mercier, qui interprète Yoav, est unique. Beauté butée, corps puissant, la colère semble le consumer de l’intérieur. Il est fascinant. (Synonymes : attrayant, ensorceleur, éblouissant, envoûtant, magnétisant).

“Varda par Agnès” – Ciné Tamaris

Agnès Varda l’annonce comme un dernier tour de piste, mais on ne la croit pas. Varda par Agnès, c’est une classe de maître. Basé sur une conférence chaleureuse et souriante devant un public dans un petit théâtre, le documentaire se décompose en deux parties, une par siècle, la pellicule et le digital, et évoque sa vie d’avant (la photographie) et celle d’après (la recherche artistique, les installations). La réalisatrice nous guide dans sa vie comme une guide de musée rock’n roll et marrante, qui aime les bons mots mais sait aussi choisir ceux qui comptent. Ceux qui la guide depuis toujours : Inspiration, création et partage. Tout est dit, voilà le programme de ces 2 heures passionnantes qui donnent irrémédiablement envie de se replonger dans tous les films de la grande dame du cinéma français. Pas grande dame d’ailleurs, non, ce n’est pas trop son genre. On dira plutôt la bonne fée, une sorte de marraine comme celles des contes de fée qu’aimait tant Demy (qu’elle aima tant aussi) et qui aura passé sa vie à se raconter sans se la raconter et à transmettre ce qu’elle semble avoir un peu compris du rôle de l’art et des artistes : ne pas se prendre au sérieux et avoir toujours la même curiosité pour les autres. Vivement la suite !

Répertoire des villes disparues, pas de sortie annoncée en France pour le moment

Synonymes, en salles le 27 mars 2019

Varda par Agnès, en salles prochainement 

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