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Les Conversations secrètes de FrenchMania : Clément Cogitore et Morgan Simon (3/3)

par | 26 Fév 2018 | CINEMA, Interview

Après la rencontre Thierry de Peretti-Nadav Lapid, FrenchMania a de nouveau réuni deux cinéastes de talent le temps d’une conversation. Morgan Simon (Compte tes blessures) et Clément Cogitore (Ni le ciel ni la terre, Braguino) ont échangé sur leur travail, leurs méthodes, leurs ambitions, et l’avenir, celui de leurs deuxièmes longs métrages de fiction (en préparation). Conversation inédite en trois parties.

 Part. 3 : Apprentissage, découpage, montage.

Morgan Simon : Tu regardes tes rushs pendant le tournage ?

Clément Cogitore : Non. Mais, parfois, je demande à certaines personnes de les regarder… Et toi ?

Morgan Simon : Moi non plus, je n’y arrive pas. Une fois la scène tournée, il me faut passer à la suivante. Au milieu du tournage de Compte tes blessures, Marie Loustalot était déjà en train de commencer à monter le film. Je l’appelais tous les soirs et on faisait un point sur la journée, sur ce qu’on avait. Je lui disais ce que j’avais ressenti, elle ce qu’elle voyait, et en général, j’arrivais à avoir du recul sur le film dès la sortie de plateau, c’était super bénéfique. Parfois, je laissais juste
un message qu’elle écoutait le lendemain.

Clément Cogitore : Tu as tourné la scène finale du film telle qu’elle était écrite ?

Morgan Simon : J’ai tourné le film le plus possible dans l’ordre chronologique parce que je voulais justement amener les acteurs jusqu’à cette scène finale. Tout était écrit, mais chaque jour, tout pouvait être remis en jeu. C’est ça qui est magique et paradoxal sur un tournage. En réalité, j’ai tourné plusieurs variations pour la fin, juste pour me dire on ne sait jamais. Finalement, cela a réaffirmé ce que je pressentais tout en allant à un endroit légèrement à côté et que je n’avais pas soupçonné.

Clément Cogitore : C’est rare de pouvoir faire ça, tourner plusieurs fins possibles.

Morgan Simon : Oui, je me donne toujours des possibilités pour réinventer au maximum les choses. On allait plus loin que ce qui était écrit à l’origine. Je voulais qu’on soit dans le présent, l’instant, et c’est au montage qu’on cerne ce que le film veut, ce qu’il rejette. Je voulais essayer des choses, pour voir comment ça s’emboîtait, si on pouvait amener les personnages encore ailleurs… Sur le tournage, je ne cherche pas l’accident – celui qui est heureux bien sûr, la bonne surprise -, mais plutôt à approfondir des émotions, à simplifier aussi. Je suis proche de mes comédiens parce que je sais que je leur demande beaucoup, et il est nécessaire qu’on se soutienne et qu’on se pousse mutuellement. Peu importe si les scènes alternatives qu’on a tournées sont bien ou pas. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il se passe quelque chose, quelque chose qui va au delà du cinéma-même.

Je me donne toujours des possibilités pour réinventer au maximum les choses – Morgan Simon

Clément Cogitore : Pour Ni le ciel ni la terre, des scènes écrites au scénario ont sauté bien sûr. Comme toi, je tourne, et je vois ce qui se passe. Il n’y a que l’action qui m’intéresse à ce moment là, la logique du système et du dispositif de tournage ne vient qu’une fois que tu es réellement en condition. On avait un découpage du film approximatif parce qu’on voulait faire des expériences sur place, s’adapter à l’environnement, tourner en lumières naturelles ou avec des lampes torches la nuit.  On assurait un plan master si tu veux, et ensuite on s’aventurait ailleurs. C’est ça qui produit – je pense – une tension mais aussi une certaine liberté. Au départ, j’avais surtout des idées de mise en scène dans ce décor à 360°, des idées de plans précis, de disposition des soldats dans le champ, moins un avis défini sur les personnages eux-mêmes.

Morgan Simon : Ce qui est dingue, c’est que quand on voit le film, on se dit que tu as dû mettre un temps fou à tourner certaines séquences, à les trouver, les sortir de ta tête, alors que ça a été instinctif et fulgurant.

Clément Cogitore : Merci. En fait, on définissait nos axes en amont, à la manière d’un documentaire. Je ne voulais surtout pas que le film soit une déclinaison de natures mortes. La découpage de Compte tes blessures était conséquent lui ?

Morgan Simon : Oui ! Plus de 40 pages de découpage. Compte tes blessures est un film en caméra portée, et j’avais besoin de décrire tous les panos du film, tous. J’étais content de l’avoir fait, puis on a tout de suite mis ça de côté avec le chef opérateur Julien Poupard. C’était surtout l’acte de le faire qui me rassurait, d’avoir vraiment travaillé et pensé les choses, c’était une base pour se lancer. On dit “mieux vaut prévenir que guérir“, donc ce découpage m’a permis de nous tranquilliser. Parfois on a suivi ce découpage, parfois non. Aujourd’hui, je ne saurais pas distinguer ce qui était écrit et ce qui est improvisé dans le film. Tout s’est confondu. Tout a fusionné. Ce qui compte, c’est le résultat final. Et puis je pars du principe que sur un tournage, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions à trouver. Facile à dire…

Pour moi, c’est la salle de montage qui est une étape décisive dans la construction ou déconstruction du film – Clément Cogitore

Clément Cogitore : Comme j’aimerais être aussi optimiste que toi !

Morgan Simon : Je le suis si peu pourtant, j’essaie juste de me m’auto-convaincre… Non, mais ce que je veux dire, c’est que certaines journées de tournage ont certes parfois un petit goût d’Enfer, mais c’est aussi souvent un mal pour un bien. L’énergie du tournage permet de ne pas baisser les bras face à des obstacles qui sont généralement surmontables. La lumière a planté ? C’est pas grave. Au lieu de paniquer, on se remobilise et on avance.

Clément Cogitore : Je comprends. Si je bloque au tournage, je me dis que le découpage pourra se faire au montage, donc, oui, on trouve toujours des solutions. Mais, pour moi, c’est la salle de montage qui est une étape décisive dans la construction ou déconstruction du film.

Morgan Simon : Oui, et parfois tu vois un décalage dans une prise qui tu avais mise de côté, décalage que tu n’avais pas saisi sur le tournage et qui fait soudain sens. C’est la justesse qu’il faut chercher. Pour Compte tes blessures, je voulais qu’en moins d’1H30, tout soit là. J’aurais pu faire un film d’1H45 en gardant certaines scènes que je trouvais belles, mais je cherche une forme de pureté, cela amène à tailler, aller à l’os. Comme je te disais, je n’ai pas revu le film depuis un moment déjà, en revanche, je l’ai beaucoup accompagné en festivals, souvent avec Nathan Willcocks qui joue le père. Il s’est énormément investi sur le projet, depuis des années. C’est plus qu’un des acteurs du film. On a fait beaucoup de présentations ensemble, de débats avec les spectateurs aussi. Accompagner un film une fois qu’il est en salle, c’était pour moi – qui n’en suis qu’au début, avec un premier long-métrage – indispensable. Déjà parce qu’il faut défendre le film, mais aussi parce que tu n’es pas confronté à la réalité de la salle tant que tu n’y as pas mis les pieds et que tu n’as pas parlé avec les gens. J’ai vraiment été marqué par les projections du film dans de toutes petites salles indépendantes en France, des salles qui se battent pour exister, pour faire exister les films, nos films. Ce qu’elles font, c’est important, et c’est la moindre des choses je trouve que de venir rendre visite à ceux qui se battent pour nous, pour le cinéma, pour qu’il soit partout, en tout cas chez eux. Parfois, il y a seulement 10 personnes dans la salle, mais ça suffit. Ce sont les meilleurs débats, ça va beaucoup plus loin. C’est éreintant, peut-être vain parfois, mais c’est fort. C’est quelque chose qui m’a marqué avec ce film. Le rapport qu’il a engendré avec des gens que je n’aurais jamais rencontrés. C’était aussi très instructif de découvrir dans chaque ville où se situe le cinéma : au centre près de la mairie, isolé en périphérie près du centre commercial; combien d’écrans il possède; ce qu’il y avait dans le bâtiment avant… Ça en dit beaucoup sur l’état d’une région, et même du pays.

Clément Cogitore : J’aime beaucoup présenter le film une fois, deux fois. Je suis là, avec l’équipe, c’est une émotion forte. Mais, après, j’ai l’impression que les projections qui suivent ne sont que la répétition de ces premières grandes soirées et émotions. Au bout d’un moment, et c’est normal, les spectateurs et les journalistes posent les même questions, parce que ce sont des questions importantes. Mais je préfère que le film fasse sa vie sans moi. Il y a des choses dont il est intéressant de parler, mais je n’aime pas trop théoriser ou intellectualiser ce que je fais, et du coup les débats en public peuvent m’amener à dévoiler certains endroits du film et de sa fabrication que j’aurais préférés mystérieux. En tant que spectateur, je me rends compte que je n’ai pas forcément envie de connaître le réalisateur d’un film, quand bien même ce film m’aurait profondément marqué. Je n’ai pas forcément envie de poser des questions aux cinéastes que j’admire parce que je n’ai pas envie d’avoir certaines réponses. Je préfère la magie du film, la conserver intacte. Parfois, j’ai des interrogations précises sur un film, mais elles sont plus d’ordre techniques. Terrence Malick – que j’admire beaucoup -, il ne parle jamais de ses films par exemple. Et j’ai vu des images de lui sur un plateau, ça m’a suffit, elle était là la leçon. Après, les théories sur les enjeux et les intentions du film, si on a bien fait son travail, je pense qu’elles n’ont pas besoin de nous pour être expliquées. C’est au spectateur de les attraper lui-même.

Morgan Simon : Oui, je suis assez d’accord. J’adore Gus Van Sant, et particulièrement Paranoid Park, et c’est vrai que je ne saurais pas trop quoi lui dire s’il se tenait là en face de moi. Mais il y a aussi des gens qui ont besoin de parler après avoir vu un film. Dans le cas de Compte tes blessures, c’est sans doute parce que c’est un film intime qui résonne fort chez certaines personnes. Peu
importe le statut social ou l’âge, on est tous et toutes le fils ou la fille de quelqu’un, avec les problèmes, parfois existentiels, qui en découlent. Les bons débats sont ceux – je crois – qui finissent par amener les spectateurs à raconter leurs propres expériences, d’un coup c’est à eux qu’on pose les questions, c’est là qu’on décèle leurs a priori, qu’on les retourne. Nathan Willcocks est très fort pour ça, il m’a beaucoup appris lors des nombreuses rencontres qu’on a faites ensemble. Ça rie, ça pleure, c’est dingue. Le débat fait parfois office de thérapie de groupe.

Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira.

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