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Desiree Akhavan (Come As You Are) : “Le cinéma doit pouvoir parler librement de genre, de sexe et d’égalité”

par | 17 Juil 2018 | CINEMA, Interview

Actrice, réalisatrice et présidente du jury de la Queer Palm 2015, Desiree Akhavan était invitée en juin dernier au Champs-Élysées Film Festival pour présenter en avant-première son deuxième long métrage, Come As You Are, récompensé du Prix du Jury au Festival de Sundance 2018 et qui sort en France le 18 juillet. Un coming of age pas banal qui raconte l’histoire d’une ado, Cameron, envoyée de force dans un camp dont la mission est de “dégayiser” les oisillons qu’on lui adresse. Dans la peau de Cameron, la grandiose Chloë Grace Moretz (Kick-Ass, Sils Maria) sans qui le film aurait eu bien des difficultés à voir le jour… Défis personnels, cinéma des années 90, Time’s up et 120 BPM, on en a parlé avec Desiree Akhavan.

Copyright Condor Distribution

On a tout de suite envie de vous parler de Chloë Grace Moretz qui est à tomber en tomboy. Comment vos routes se sont-elles croisées ?

Desiree Akhavan : Ce film a été une sacrée aventure ! Jusqu’au dernier moment, je n’étais pas certaine de pouvoir le faire. Je n’avais trouvé personne pour le rôle de Cameron.  Un jour, j’étais au téléphone avec mon producteur, on se disait qu’il était impossible d’avoir une star américaine au casting pour un film avec un si petit budget et qu’en même temps, ça aidera à avoir une assise solide… Un casse-tête !  Puis, ça relève presque du miracle ce que je vous raconte, ma directrice de casting m’a appelée pour me dire que Chloë Grace Moretz voulait me rencontrer pour discuter du projet. J’étais… estomaquée ! Je savais que si Chloë embarquait avec nous, le film se ferait. Mais je n’avais alors même pas imaginé que cela puisse être possible qu’elle accepte de jouer le rôle de Cameron, cette nana un peu butch, alors qu’on la voit souvent dans des rôles plus féminins et gracieux, comme dans Sils Maria où elle joue une starlette aux dents longues. J’adore l’actrice qu’est Chloë, alors j’ai évidemment sauté sur l’occasion de la rencontrer. Dès la première seconde, j’ai su qu’elle serait parfaite pour ce rôle, qu’elle avait le swag nécessaire, le caractère pour cela. A aucun moment je n’ai cherché une comédienne pour qui le rôle aurait été une seconde peau. Ce qui m’intéressait, c’était le défi. Tourner avec une actrice dont la personnalité était à l’opposé de celle du personnage.

Est-ce que vous êtes proche du personnage de Cameron ?

D.A : Elle ne me ressemble pas du tout ! Elle est bien plus délurée que je ne l’étais à son âge, plus cool aussi ! Moi, je ne baisais pas encore quand j’avais 16-17 ans, contrairement à Cameron qui a déjà franchi le pas. Je suis tombée amoureuse de ce personnage que j’ai découvert dans le roman d’Emily Danforth dont le film est adapté. Je crois, en y réfléchissant bien, que j’ai fait de Cameron un genre de créature, l’addition des filles que j’ai rencontrées et aimées. C’est mon hommage ! Mais ce qui m’intéressait aussi, c’est l’arrière-plan religieux de cette histoire, la compromission. La film se déroule dans les années 90, dans un petit village américain conservateur. Cameron est envoyée dans un camp dirigé par des fanas de Jésus, punie parce qu’elle a embrassé une fille et que son désir dérange ceux qui font la norme. On va alors la faire participer à des ateliers thérapeutiques animés par des incompétents qui réfutent les différences, qui les voient comme un blasphème.

Il y a des points communs avec votre premier film, Appropriate Behavior : une héroïne bi ou lesbienne, des combats à mener pour sa propre indépendance, l’arrière-plan religieux … Peut-on dire que ce sont deux films politiques ?

D.A : Oui, il y a des points communs et oui, on peut parler de films politiques. Je dirais que l’accent est mis sur le queer, et le queer, a bien des égards, est une forme de revendication politique. Je ne veux pas faire des films qui ont valeur de médicament mais des films qui séduisent et surprennent. Le message passe mieux selon moi lorsqu’il n’est pas asséné, lorsqu’il se confond avec la forme du film. Je ne m’intéresse pas aux films qui n’ont pas de fond, qui n’ont rien à dire. C’est marrant parce que j’ai récemment revu des films des années 90 que j’adorais, comme True Romance par exemple, et aujourd’hui, je ne les aime plus, je les trouve presque offensants… Le décalage entre cette époque et la notre est si criant qu’il finit par devenir crispant. Les temps changent, heureusement, et le cinéma a sa part de responsabilité. Il doit pouvoir parler librement de genre, de sexe et d’égalité.

Les temps changent, heureusement, et le cinéma a sa part de responsabilité. Il doit pouvoir parler librement de genre, de sexe et d’égalité.

Est-ce que le mouvement Time’s up va participer à un changement des mentalités pensez-vous ? Existe-t-il une forme de convergence des luttes ici ?

D.A : Oui, je crois que c’est un début. Il faut un début non ? Ce qui me parait important, c’est qu’enfin les individus réfléchissent à leur comportement, que le sexisme ne soit plus une affabulation ou un gros mot. Le mouvement Time’s up dépasse même la cause des femmes. Il s’agit d’agir en faveur de toutes les personnes marginalisées. Que des films avec un casting black aient encore du mal à être produit, c’est une aberration. Que des films réalisés par des femmes bénéficient d’un budget moins important que s’ils étaient réalisés par des hommes, c’est choquant. Heureusement, Black Panther est arrivé, Wonder Woman aussi, et ces blockbusters font du bien à l’industrie. Ils génèrent des bénéfices en plus de bouleverser les esprits les plus bornés. Ils touchent des millions de personnes. Le cinéma “mainstream” a affecté ma vie. Enfant, j’allais voir en famille des films grand public dans des multiplexes. Aujourd’hui, je ne veux pas faire des films pour la communauté (LGBTQ+, Ndlr), mais faire des films pour tous, pour qu’ils soient vus par le plus grand nombre. Car c’est comme cela que les mentalités changent aussi.

Pour finir, y a-t-il un film français que vous avez vu récemment et qui vous a particulièrement plu ?

D.A : Oh oui, j’ai vu 120 BPM de Robin Campillo ! Quelle claque. Je suis allée au cinéma sans grande conviction, j’avais passé une journée de merde. Je me suis installée dans mon fauteuil et dès que le film a commencé, il m’a gagné. On riait ensemble avec les autres spectateurs, on pleurait ensemble, on était en état de choc ensemble. C’est ça le grand cinéma, des émotions collectives. Une salle qui vibre à l’unisson. C’était une expérience géniale. Et je n’aurais probablement pas eu la même réaction si j’avais vu le film seule chez moi. C’est d’avoir été en salle avec les gens qui a aussi participé à mon engouement pour ce film.

Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira

Photo en Une : Desiree Akhavan dans Appropriate Behavior – Copyright Condor Distribution.

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