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Ecrans Mixtes, épisode 5 : Camille Ducellier, le genre et le roller derby

par | 14 Mar 2019 | CINEMA, Interview

La 9ème édition du festival du cinéma queer “Écrans Mixtes” se tient du 6 au 14 mars à Lyon. Si l’invité d’honneur est James Ivory et que le festival consacre un focus au “Novo queer cinema”, nouvelle vague du cinéma queer brésilien, il fait aussi la part belle aux réalisatrices et réalisateurs français. FrenchMania est sur place à leur rencontre. Épisode 5 : Rencontre avec Camille Ducellier pour sa web série Gender Derby, coup de cœur de FrenchMania, et en accès libre sur Youtube.

Camille Ducellier  : “J’admire cet affront, cette liberté, cette audace d’être soi dans une société dans laquelle il est difficile de se décoller des injonctions

Avec sa web série originale Gender Derby, la jeune réalisatrice Camille Ducellier, passée par l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg et le prestigieux studio national des arts contemporains Le Fresnoy de Tourcoing, dynamite le format documentaire. Elle parvient à aborder avec intelligence, bienveillance et sans faux-semblants les thématiques queer modernes que sont les questionnements sur le genre, la fluidité des identités et la non-binarité à travers le portrait de Jasmin, aka Fouf la rage, mec trans genderfluide, et de sa passion pour le sport le plus inclusif qui soit, le roller derby. Testostérone, trans-pédé-gouines, affirmation, fou rires et sport à roulettes, bienvenue dans Gender Derby !

(Visionner les 7 épisodes de la série sur Youtube)

Jasmin sur l’affiche de la série – crédit photo : @Marie Rouge

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser au sujet du genre pour cette web série produite pas Flair productions et la plateforme IRL de France Télévisions ?

Camille Ducellier : Le sujet, je l’aborde depuis une dizaine d’années à travers tous mes films, c’est le fil conducteur, ce qui m’anime principalement : la manière dont des individus ont une certaine forme de liberté par rapport à leur corps. J’admire cet affront, cette liberté, cette audace d’être soi dans une société dans laquelle il est difficile de se décoller des injonctions. Je suis attirée par des individus qui, en partie, me ressemblent et font partie de ma communauté, de mon entourage. Là, ce qui s’est joué sur Gender Derby, c’est que dans la collaboration avec Flair productions et avec mon producteur Romain Bonnin, la suggestion était d’être pédagogue sur le genre mais j’avais la liberté sur la forme et le fond. J’ai rencontré Jasmin à ce moment-là dans notre cercle d’amis et de connaissances et, tout de suite, il y a eu un feeling particulier entre nous, il m’a parlé du roller derby et tout s’est un peu assemblé comme un alignement d’étoiles, un puzzle. Au début j’étais partie sur l’idée d’avoir plein de personnages différents, un peu comme une mosaïque, et, finalement, avec Jasmin, cela me paraissait évident qu’il serait le fil conducteur et que les ramifications se feraient par son biais. Je ne connaissais rien au roller derby et c’est toujours assez joyeux d’avoir du désir pour ce qu’on ne connait pas, d’être soi-même surprise, cela donne plus de créativité. Le roller derby est un sport féministe, inclusif et métaphorique d’une certaine forme d’émancipation puisque l’une des joueuses centrales doit s’extraire d’un groupe de bloqueuses … tout était là ! Et puis il y avait Jasmin avec ses questionnement, ses doutes, ses affirmations, ses envies que j’ai essayé d’accompagner au mieux. Nous étions d’accord sur la volonté de rendre tout cela accessible. Je pense toujours qu’un ado doit pouvoir regarder mes films et les comprendre, les entendre. Au départ les gens se disent que cette personne est très très éloignée d’eux, puis regardent la série avec presque une sorte d’exotisation, et, le cheminement fait, qu’à la fin, il y a tellement de points communs que cet autre est bien plus proche qu’on ne l’imaginait. C’est le cheminement que j’essaie d’imprimer à mes portraits documentaires.

Et la série est également très novatrice, créative sur la forme. Il y a ce format vertical adapté au téléphone, les split-screens, …

Le vertical est venu dans la discussion avec le diffuseur et je l’ai vécu au départ comme une contrainte. Je n’aime pas la gratuité des effets mais, très vite, avec ma chef op, Camille Langlois, on a fait des tests et, immédiatement on a été emballées. Cela nous a demandé de nous repositionner par rapport à l’essence même du cinéma, du cadre, de l’horizontalité du regard. C’est devenu une stimulation. Comme chaque cadre est nouveau, tout est possible, on n’est pas rattaché à l’histoire du cinéma. A chaque fois qu’on fait un plan cela nous fait penser à mille autres plans et cela nous inhibe un peu, alors que là, le fait que cela ne nous rappelle aucun autre plan nous a donné un élan, d’oser les split-screens qui sont cohérents quand on trouve que c’est légitime. Le personnage est multiple et cherche à se déconstruire, nous formellement on a eu envie de voir comment on pouvait déconstruire formellement.

Commet vit une œuvre comme celle-là ? Diffusée sur internet, regardable sur mobile mais également sur grand écran comme ici à Écrans Mixtes…Et quels ont été les réactions des protagonistes et des spectateurs ?

Lors de la première à Paris pour la lancement, les projectionnistes étaient très inquiets ! Ces bandes noires sur les côtés, c’était inhabituel. Mais je ne m’y attendais pas vraiment, l’œil se recentre très vite et le cadre appelle le regard, ce n’est pas du tout gênant. Dans ce rituel très classique, cela marche tout autant et c’est une autre expérience que sur le téléphone où l’objet et le format collent, on observe encore plus le cadre. Sur l’ordinateur, c’est un peu la même chose. Le vertical pour le téléphone c’était un point de départ mais pas un point d’arrivée. Les gens étaient contents de la joie et de la vitalité qui se dégage. C’était important de sortir des narrations pathétiques, axés sur une vision “pathologique” des parcours trans. On a essayé d’éviter toutes les séquences cliches : l’hôpital, le coming out, les entretiens psy. On valorise la démarche queer en valorisant l’entre-deux, c’était compliqué notamment dans le cadre sériel où on s’attend à une évolution d’un point à un autre, jusqu’au dernier épisode. Dès le deuxième épisode Jasmin dit “aller jusqu’au bout ? Mais au bout de quoi ?“. C’était volontaire de casser le truc tout de suite. Le sujet c’est un instant T de la vie d’un individu qui a sa vie, sa passion, ses amis.

 

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