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Entretien avec Adèle Haenel – Sophie dans 120 battements par minute

par | 24 Août 2017 | CINEMA, Interview

Robin Campillo n’a pas cherché à faire jouer des militants par des acteurs, il a cherché des gens qui étaient déjà, d’une façon ou d’une autre, militants.

 

Dans 120 battements par minute, Adèle Haenel incarne, aux côtés de la belle révélation Aloïse Sauvage, une de ces femmes qui ont, dès les débuts de l’association investi, et plus tard dirigé, Act Up-Paris. Elle revient avec FrenchMania sur ses motivations pour intégrer cette aventure qui va au-delà du cinéma.

Comment vous êtes-vous retrouvée dans ce film de groupe ?

J’avais rencontré Robin Campillo lors d’un repas et on avait parlé de complètement autre chose mais c’est à la suite de cette rencontre qu’il a décidé de me proposer un rôle dans le film. C’est aussi simple que ça ! J’avais vu Eastern Boys que j’avais vraiment trouvé génial. J’aimais le travail de Robin. J’ai lu le scénario et il n’ pas eu besoin de me convaincre, j’ai dit oui tout de suite. La motivation était politique je pense, ma façon de parler …  L’idée n’était pas d’incarner des figures existantes de l’époque mais plutôt de retranscrire une ambiance, un mode de fonctionnement. Il s’agissait d’incarner une militante qui n’avait pas le choix de s’engager, même si mon personnage est séronégatif, il y a quelque chose de tripal. La base du personnage, c’est la colère dans ce qu’elle a d’épidermique, c’est se battre contre des gens qui vous nient. Il fallait faire en sorte de respecter une forme d’architecture du groupe, respecter la place de tous les caractères différents. Tout s’est imbriqué simplement parce que le scénario était très écrit. Je ne suis quasiment que dans des scènes de groupe. C’est un film qui va marquer, les gens sont extrêmement touchés.

On vous sent très impliquée dans les aventures collectives et en même temps très libre …

Ça se fait comme ça, mais oui, j’aime bien parce que cela amène à chaque fois un nouveau souffle. Il y a des choses, quand tu deviens connu, que tu ne peux plus jouer parce que tu deviens toi-même un personnage public. Cela donne une couleur particulière, cela oriente la lecture du film. C’est important de se faire oublier, d’apparaître, de réapparaître, c’est une question d’humilité. J’aime être à l’écoute des gens. Le plus grand plaisir n’est pas dans la reconnaissance, je tiens beaucoup à la sincérité même si parfois cela peut être maladroit. Ce qui m’est cher, c’est de jouer dans des films auxquels je crois vraiment, de rencontrer des réalisateurs dont les points de vue secouent les miens ou les rejoignent parfois. J’ai une échelle de valeur à laquelle je tiens.

Vous vous êtes senti en proximité avec les combats d’Act Up évoqués dans le film ?

Je ne sais pas ce que j’aurais fait à l’époque mais les combats contre l’ordre établi me parlent. Ce que j’aime chez Act Up, c’est l’impolitesse, l’excès, des choses qu’on reproche seulement à ceux qui n’ont pas le pouvoir. Quand on a le pouvoir, c’est plus facile d’être juste puisqu’on décide presque soi-même de ce qu’est la justice. Je me sens proche de ce positionnement “anti-formatage”, de ce refus des répercussions de l’économique dans la sphère sociale. Le film nous parle de ce que c’est de rester vivant même si les gens meurent autour de vous. Rester vivants pour se battre contre la maladie mais aussi dans une forme de rébellion contre la morbidité de l’ordre. Ils ne sont pas courageux comme des héros américains qui tombent du ciel en disant « Je suis méga balèze et j’ai des super-pouvoirs » , ils sont courageux parce qu’ils ont peur. T’es maigre, t’es petit, on t’a toujours dit « t’es une femme, tu peux pas te battre », t’as peur des flics, … c’est beau le courage qui émane de ça. Robin Campillo n’a pas cherché à faire jouer des militants par des acteurs, il a cherché des gens qui étaient déjà, d’une façon ou d’une autre, militants.

Quel souvenirs vous gardez de cette expérience ?

C’était super déjà parce qu’on a fait un super film ! Le casting était très diversifié et il y avait vraiment des personnalités hautes en couleur donc c’était très agréable de faire toutes ces rencontres, cela restera un très bon souvenir. Et on s’est aussi beaucoup ennuyé ensemble ! Les scènes d’amphi étaient très longues à tourner, il faisait très chaud, ça crée des liens ! Cannes, à chaque fois c’est différent mais là j’arrivais avec un film que j’adorais et qui me semblait très important. Et puis on n’a pas été les derniers pour faire la fête ! Rares sont les films dont émane une telle vibration, qui racontent autre chose qu’une histoire linéaire. Une histoire c’est un véhicule, au cinéma comme en littérature, ce n’est pas l’aboutissement. L’aboutissement est dans l’indicible. C’est rare les scénarios qui arrivent à se décoller de l’histoire, ou souvent la métaphore est trop prononcée. Ma chance a été de tourner juste après le film de Pierre Salvadori, une comédie qui sortira l’année prochaine (Remise de peine, Ndlr). C’était vraiment génial à jouer, jubilatoire, avec un partenaire que j’adore, Pio Marmaï. Salvadori est un grand directeur d’acteurs. Là, je finis le film sur la Révolution Française de Pierre Schoeller (Un peuple et son roi aux côtés de Gaspard Ulliel, Ndlr).

Propos recueillis par Franck Finance-Madureira

 

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