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Ilan Klipper : “J’ai toujours été attiré par les personnages qui sortent des sentiers battus”

par | 23 Mai 2018 | CINEMA, Interview

Seulement 12 jours de tournage : “On arrivait à 7h du mat’ et on repartait à minuit, mais l’humeur et la dynamique étaient tellement bonnes qu’en réalité on n’aurait pas eu de mal à dépasser les horaires de fin de journée qu’on s’était fixé s’il avait fallu le faire” nous confie Ilan Klipper, réalisateur (et scénariste) du Ciel étoilé au dessus de ma tête en salles ce mercredi 23 mai. Cette énergie dont il nous parle est bel et bien palpable dans cette fable inspirée et surprenante conduite par un Laurent Poitrenaux magistral en écrivain à la plume sèche qui, pourtant, jouit d’une imagination féconde, surtout lorsqu’il s’agit de se sortir du pétrin. Qu’est-ce qu’il y a dans la tête d’un romancier en train de créer ? Ilan Klipper fouille. Introspection.

Film fauché riche en idées

« A l’origine, il y avait un texte très écrit. Mais dès que j’ai commencé à tourner, j’ai trouvé le scénario original trop linéaire, trop plat. Je me suis donc mis à rajouter des scènes au jour le jour. Le film parle du processus de création, et ce film m’a permis d’expérimenter plein de choses, d’improviser, d’aller chercher plus loin avec les comédiens. A un moment, je vois Laurent torse nu et je lui fais remarquer – parce que ça m’a immédiatement sauté aux yeux – que ses bras sont hyper longs. C’est comme ça qu’on a eu l’idée de la scène où il fait l’orang-outan dans sa chambre. Bref, pour résumer, on avait 12 jours de tournage, un scénario de 100 pages auquel je rajoutais en permanence des scènes selon l’inspiration… De la pure folie !  Mais cette urgence et cette émulation ont été bénéfiques, profitables à tous. On n’avait pas de fric, mais on s’en foutait. Tout le monde est venu sur ce film avec d’autres motivations que des motivations pécuniaires. On se disait tous qu’il y avait matière à faire un bon film, et on était heureux de le faire ensemble. Le plaisir ne nous a pas quitté du tournage. Je me suis senti plus libre dès lors que j’ai accepté l’idée de faire un film fauché. A la base, le film tient sur l’économie d’un court métrage. J’ai écrit, poussé par Nicolas Anthomé, mon producteur, un scénario solide qui m’a permis sur le tournage de prendre toutes les libertés que je voulais, décomplexé par la somme minime dont je disposais. J’ai écrit comme j’ai tourné, en me sentant léger. Le huis-clos est une forme qui correspondait bien à mes besoins et, qui plus est, à ce désir de créer un univers mental et pluridimensionnel, hors du monde et du temps. On est dans la tête de Bruno, cet écrivain qui inquiète ses proches au point de vouloir le faire interner. Les scènes que j’ai tournées en plus sont finalement des scènes qui caractérisent les décrochements dans le récit comme dans la tête du personnage. La fracture entre la réalité et la fiction dans laquelle il aime se blottir. Au montage, ça a vraiment fait sens pour moi et les scènes les plus fantasmagoriques participent aux ruptures de rythme. On a affaire à un type qui cherche l’inspiration pour son prochain roman et qui plonge au plus profond de son inconscient, brodant autour d’une intervention psychiatrique à domicile tout un tas de péripéties, et même une romance – parce que Bruno est un grand romantique. »

Des personnages hauts en couleur

« J’ai toujours été attiré par les personnages qui sortent des sentiers battus, les outsiders. Les personnages qui cherchent à se réinventer. Je me suis rendu compte après le court métrage que j’ai fait avec Christophe (Juke-box, Ndlr), que ce qui m’intéressait était la marge, tout ce qui remet en question les modes de vie traditionnels. Est-ce qu’il est possible de vivre autrement dans cette société moderne tenue par tant de conventions et de codes ? C’est une question que je me pose dans la vie de tous les jours. Pourquoi juge-t-on par exemple les couples amoureux qui ne veulent pas vivre ensemble ou qui simplement ne font pas de la fidélité un principe moral ? On sent bien dans le film que l’entourage de Bruno ne comprend et n’accepte pas la manière dont il vit. Bruno n’est pas le genre de mec à avoir une routine, c’est pas le mec “métro-boulot-dodo”. C’est un type hors-norme qui s’est certainement fait renvoyer dans les cordes dans le passé et qui a développé un genre de malaise vis-à-vis des rapports humains. Ce n’est pas anodin s’il vit aujourd’hui reclus sous les toits. Il a une colocataire, une voisine aussi avec laquelle il entretient une liaison, et des parents qui, un jour, sonnent à sa porte accompagnés d’une jeune femme que Bruno prend d’abord pour une prétendante avant de comprendre ce qui se trame.  Tout le monde se réunit pour dire à Bruno qu’il fout sa vie en l’air et qu’ils savent comment le remettre sur les rails. Or, Bruno, lui, aime ce qui déraille. En traitant de cette histoire de manière tragi-comique, il était plus facile de jouer sur les variations de tempo et de tonalités. Comme Bruno, la monotonie m’ennuie. Pour le casting, je voulais donc des électrons libres. Il est fait d’un mélange d’amis et de rencontres. Laurent, c’est un acteur incroyable. Tu lui donnes à lire la notice d’un meuble IKEA et tu te marres instantanément. Il arrive à s’emparer de n’importe quel texte et à mettre dedans une musique qui lui est singulière, ses intonations. Camille (Chamoux, Ndlr) a passé un casting. Elle m’a dit qu’elle était heureuse d’avoir ce scénario entre les mains, qu’elle refusait tout un tas de projets bien payés parce qu’elle voulait qu’on la regarde autrement que comme la rigolote de service et que ce film, même sans cachet mirobolant, elle avait simplement envie de le faire. C’est juste top quoi. Ça m’a touché. Camille est une vraie bosseuse. Elle a un débit hyper speed et au début du tournage, il a fallu calmer un peu le moteur si je puis dire, se poser. Trouver le bon tempo, le bon phrasé, la bonne attitude pour ce personnage de psychiatre qui doit tenir un masque neutre face à la situation qui dégénère. Elle a été parfaite, elle a trouvé le personnage. Je n’ai pas donné de lectures ou de films à voir aux comédiens, mais je leur ai filé le lien d’une leçon de direction d’acteur par Jean Renoir qu’on trouve facilement sur Youtube qui est une pure merveille. On a travaillé dans le même sens, en decrescendo. Je voulais gommer toutes les intonations stéréotypées, faire avec les comédiens un travail sur le texte en ôtant le poids des intentions. On a travaillé ensemble la manière de projeter les intentions, et ça a rendu les personnages mille fois plus complexes encore que sur le papier. J’aime beaucoup le personnage du meilleur copain de Bruno joué par Franck Williams et son aparté avec Justynya (Alma Jodorowsky, Ndlr). Il y a tout un petit monde qui gravite autour de Bruno, son ex-femme aussi (Marilyne Canto, Ndlr) qui passe par là… »

Titre céleste

« Quand j’étais ado, avec des potes, on avait tripé sur le texte qui clôturait La Critique de la raison pure de Kant. Je crois que c’était quelque chose du genre “Deux choses emplissent le cœur d’admiration et crainte, le ciel étoilé au dessus de moi et la loi morale en moi“. Pendant l’écriture, cette phrase m’est revenue dans la tête, peut-être parce que Bruno est un personnage un peu cosmique. Aujourd’hui comme à l’époque alors, je comprends certainement mal cette citation, mais ce qui me plait, c’est l’idée qu’il y a des forces qui nous dépassent, comme l’amour par exemple. Il y a des choses sur lesquelles on n’a pas prise, et ça, ça m’enchante. »

 

 

Propos recueillis par Ava Cahen.

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