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Le Groupe Ouest, le sens du collectif et du créatif

par | 28 Oct 2018 | Reportage

C’est en Bretagne, a proximité des plages du Pays Pagan, que huit scénaristes travaillent à l’élaboration de leur prochain (ou premier) long métrage – la plupart comptent réaliser le film qu’ils écrivent. Loin de l’idée que beaucoup se font de l’auteur ténébreux et solitaire, le Groupe Ouest a créé une résidence où non seulement les scénaristes vivent ensemble 24h/24 le temps des sessions de travail organisées sur place, mais en plus, s’impliquent dans les projets les uns des autres. Le pacte est clair, l’union et la transparence, fondamentales. Ici, c’est en créant du lien, autour d’une table ou pendant de longues balades, que les auteurs avancent, épaulés par des coachs investis comme Marcel Beaulieu, consultant en chef, Pierre Hodgson, Séverine Cornamusaz  ou encore Atiq Rahimi.

“On essaie de trouver à chaque fois des solutions pour créer des sessions adaptées aux auteurs qui méritent d’être coachés” – Antoine Le Bos, codirecteur du Groupe Ouest.

Yann Le Quellec © Photo Riccardo Olerhead

Nolwenn Lemesle © Photo Franck Parisot

Huit projets, soigneusement sélectionnés, composent la sélection 2018. On retrouve ceux de Claude Barras, réalisateur de Ma vie de courgette (2016), Joséphine Derobe, spécialiste relief/3D qui a travaillé aux côtés de Wim Wenders, Guy Dessent, réalisateur et scénariste belgo-uruguayen dont le film de fin d’études a été sélectionné au Festival de San Sebastian il y a quelques années, Eve Duchemin, réalisatrice de documentaire qui passe pour la première fois à la fiction, Holy Fatma, ex-décoratrice de plateau à Hollywood, très inspirée par l’univers de Tim Burton, Yann Le Quellec, réalisateur de Cornelius, le meunier hurlant (2017), Nolwenn Lemesle, réalisatrice de Des morceaux de moi (2012) et Lawrence Valin, acteur, réalisateur et scénariste, secondé par Marlène Poste. L’aventure, pour eux, a commencé il y a quelques mois déjà. Le coaching est intense, les outils déployés, inventifs. Les auteurs, qui ont lu les projets des uns et des autres, sont au cœur des ateliers, tantôt consultants, tantôt consultés. A tour de rôle, ils s’expriment sur les projets de leurs camarades, soulevant avec franchise et bienveillance les qualités et les loups du scénario en jachère. Il ne s’agit ni porter des coups ni de se réapproprier le film de l’autre, mais bien de discuter en profondeur la matière première, dans le but que l’auteur soit sûr du chemin qu’il est en train de tracer. L’autre pratique qui a fait la renommée du Groupe Ouest est celle du “Raconte-moi”. Chaque auteur, à travers une courte vidéo, doit raconter l’histoire qu’il est en train de mettre sur pied. Un exercice compliqué que le Groupe Ouest a choisi de faire partager aux villageois, invités lors d’une soirée inédite à découvrir ces récits face-caméra, projetés les uns à la suite des autres, mais aussi à récompenser l’auteur de l’histoire qui les a le plus convaincus.

Il s’agit, pour Antoine Le Bos, de revenir, à travers ce type d’exercice, aux racines de la fabrique de récits. “Dès le départ, on s’est dit, voyons ce que ça donne de se mettre dans un endroit qui est géographiquement super boostant, dans lequel un village entier va être partie-prenante de l’aventure, et changeons d’approche et de méthodologie. Au lieu d’appeler des consultants qui ne sont là que pour les strass et paillettes, appelons des consultants qui soient capables de travailler à livre ouvert et de concert, pour ne pas que la subjectivité d’un seul consultant vienne altérer la vision de l’auteur coaché. Ce qu’on cherche à travers ce coaching, c’est d’ouvrir le champ des possibilités, de faire en sorte que les auteurs arrivent à déterminer, après avoir envisagé plusieurs combinaisons, ce qu’ils veulent raconter et comment ils veulent le raconter. Notre boulot est vraiment lié à la compréhension du cerveau en phase créative. Le cerveau de l’auteur a quelque chose de sacré, d’impénétrable, c’est souvent tabou de vouloir en parler. Ici, quiconque ne travaille pas en transparence est évacué. On demande aux auteurs d’être dans un principe de partage absolu et compliqué. Dès lors, les consultants doivent eux-aussi avoir les fesses à l’air, si j’ose dire, pour que l’accouchement se fasse de la manière la plus naturelle et adaptée.” 

La méthodologie est donc audacieuse, anti-scolaire. Elle vise à l’élaboration des projets par le biais de la parole d’abord. “Le but est de retarder au maximum l’écriture. Aujourd’hui, les auteurs ont tendance à se précipiter sur leur page de traitement de texte et à écrire tout et n’importe quoi avant de tout effacer et de recommencer. Nous voulons retarder ce moment. Le cerveau, par le biais de l’oralité, met en place une espèce de procédure d’urgence pour trouver le chemin pour générer une conclusion, ce qui n’est pas le cas à l’écrit où l’on se lance sans savoir exactement quel va être le point de chute. Tu n’écris pas pour trouver, tu écris parce que tu as trouvé… C’est notre crédo. L’écrit n’est qu’une trace que tu laisses à l’issue d’un long processus d’élaboration. L’oralité, c’est cet outil qui reconnecte tout ensemble.”

Au Groupe Ouest, on encourage en effet les auteurs à ne pas avoir peur du trop-plein d’idées. Partant du principe que le cerveau est un muscle, le stimuler, faire vibrer chacune de ses zones, est une priorité – le décor dans lequel se trouve la résidence appelant de fait à libérer l’imaginaire . “Si tu fabriques un foisonnement d’idées sur le projet du voisin, ça va fabriquer une forêt de possibilités sur ton propre projet” explique Antoine Le Bos, convaincu que la dynamique de groupe optimise la perception que l’auteur a de son scénario. “Il y a Trump de l’autre côté de l’Atlantique, la machine à broyer les idées qu’est Hollywood, cette trame inflexible mise en place comme un système – un héros, un but, le soulèvement de l’action pour y parvenir. C’est un paradigme possible. Mais il en existe mille autres. Le récit hollywoodien ne couvre pas un tiers des champs des possibilités narratives, nous le croyons dur comme fer”. Cela se vérifie au travers la diversité des projets retenus pour la sélection annuelle 2018, en termes de genre d’abord (animation, thriller, conte horrifique, tragi-comédie), en termes de sensibilités ensuite (les sujets, les idées, les troubles qui irriguent les projets).

Mais le Groupe Ouest ne s’arrête pas là dans sa volonté d’aider les scénaristes à créer avec les bons outils. Il développe également un programme européen baptisé “Less is more”, une méthode de coaching qui vise à doper l’imagination des auteurs en la soumettant à une série de contraintes. “Être dans une débauche de pognon quand on crée ne nous parait pas sain. On se rend compte à travers nos expériences faites au Groupe Ouest que dès que l’on fabrique des contraintes, ou qu’on aide les auteurs à se les choisir plutôt, et bien on rend les récits plus forts, plus puissants, narrativement et thématiquement. Je crois que cela permet aux cinéastes de se fabriquer une identité plus solide“. Trois résidences d’une semaine ont lieu entre mars et octobre. L’appel à candidature 2019 se termine le 31 octobre prochain.
 

©Brigitte Bouillot / photo en Une + portrait Antoine Le Bos

Architecte Groupe Ouest : Alexandre Favé.

Pour en savoir + sur le Groupe Ouest : http://www.legroupeouest.com/

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