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“Les Engagés” : Journal de bord de la saison 2 par Sullivan Le Postec, créateur de la série (épisode 3)

par | 2 Déc 2018 | SERIES

La deuxième saison des Engagés, première série LGBT+ française, est actuellement diffusée sur Studio 4, site de France 4 dédié aux web séries. Cette saison 2 creuse les thèmes initiés dans la première et fait émerger de nouveaux personnages pour un résultat maîtrisé, riche, qui sonde en profondeur les parcours personnels et militants. Sullivan Le Postec, créateur de la série, a accepté, pour FrenchMania, de nous raconter, à sa façon, les coulisses et le tournage à Lyon de cette deuxième saison des aventures d’Hicham, de Thibault et du Point G, l’association LGBT dans laquelle ils sont … engagés.

Épisode 3 : Musique et collectif

Dans une série de personnages comme Les Engagés, la musique joue un rôle important. Franck Lebon, qui compose la bande originale, a créé dès la saison 1 des thèmes forts, dont celui d’Hicham et celui que j’ai baptisé « Kiss & Smile », puisqu’il correspond à la scène dans laquelle Thibaut sourit en regardant Hicham embrasser un garçon pour la première fois (épisode 4, saison 1). Ces deux thèmes font l’objet de réinterprétations très réussies dans la deuxième saison : Hicham revient sur un tempo accéléré qui vire à l’électro. Quant à « Kiss & Smile », il dévoile un nouveau remix dans le climax festif de l’épisode final de la saison 2. Un final riche en musique puisque l’artiste français Draumr m’a fait le grand plaisir de nous laisser utiliser un titre dream pop que j’adore, « Lights Out », sur une séquence clef.

Mais le plus grand défi musical de cette saison était sans doute l’épisode du gala au Cabaret Bleu. A l’origine, le premier baiser d’Hicham dans la première saison se déroulait déjà dans un contexte de spectacle transformiste. Cet élément avait été coupé à l’écriture pour des questions de faisabilité – cet épisode était déjà long et compliqué. Mais dès cet instant, je m’étais décidé à écrire un épisode entier dans cet univers, ce qui le rendrait économiquement réaliste. Cet épisode 13 a néanmoins été extrêmement complexe à tourner.

La scène du coming-out d’Elijah est inspirée par une performance à laquelle j’ai réellement assisté au milieu des années 2000, lors des spectacles cabaret menés par l’artiste transformiste lyonnais Candy Williams. Une artiste trans, Mariah, se dévoilait sur le titre « Beautiful » de Christina Aguilera, qui était d’ailleurs cité dans le scénario comme une référence à l’attention de Franck Lebon. Le personnage d’Elijah, la force qu’il dégage, nous a conduits, lors des échanges qui ont eu lieu entre Slim, Franck et moi, vers une sonorité plus rock pour ce titre « Engaged », qui sert de base au thème musical du personnage.

Pour la chanson classique de Claude, j’avais initialement pensé au « Il n’y a pas d’amour heureux », chanté par Danièle Darrieux dans 8 Femmes. Nous avons tenté d’obtenir les droits, mais ce sont ceux d’une autre proposition, faite par Denis D’Arcangelo, qui se sont révélés le plus facilement disponibles. C’est ainsi que Claude fait un playback sur « Qui j’aime ? » de Lys Gauty, un titre des années 30. Denis et moi aurions préféré qu’il puisse chanter lui-même, mais cela complique encore plus les négociations de droits. Le troisième morceau de l’épisode, je ne suis pas allé le chercher loin : Claudine Charreyre, qui joue Murielle, est la chanteuse du groupe rock Grace Lee. J’aime beaucoup ce titre, « Overlistening » qui figure sur leur EP et colle bien à l’ambiance sombre de cette fin d’épisode. Je dois féliciter Claudine qui a tourné cette séquence dans des conditions très difficiles. Toutes ces séquences au cabaret devaient être filmées en une seule journée. Un défi incroyable, vu la multiplicité des points de vue à filmer quand il se passe des choses en même temps sur scène, dans la salle et à l’extérieur. Nous avions tellement de retard que Claudine n’a eu le droit qu’à très peu de temps, et sans ses musiciens qui auraient normalement dû l’accompagner. Alors que nous avions passé la pause du midi à envisager les scènes que nous pourrions couper ou tourner à un autre moment, Slimane a pu rentrer tous les plans nécessaires in extremis.

Un processus collectif

Au fil de l’eau, pendant la première saison, alors que nous faisions face aux challenges de la production d’une série web, s’est inventée avec les deux coréalisateurs Jules Thénier et Maxime Potherat, la manière collaborative dont nous tournons. Ma présence sur le tournage ne consiste pas à empêcher les changements, mais au contraire à les accompagner – ils sont inévitables compte-tenu de notre rythme de tournage, et nécessaires pour libérer la créativité de chacun et améliorer la série. Et je suis parfois le premier qui, effrayé par le plan de travail du lendemain, suggère des plans qu’on pourrait sans doute se dispenser de tourner. Mon travail est simplement de veiller sur le sens, les intentions, et le réalisme général de l’univers – peu de gens sur le plateau maîtrisent le jargon associatif.
Souvent, il s’agit juste de pur plaisir et d’émotion, en premier spectateur. Comme cette fin d’après-midi en bord de Rhône, à regarder Denis D’Arcangelo et Nanou Harry jouer, les larmes au bord des yeux…

Ce travail collaboratif s’est poursuivi avec le réalisateur de la saison 2, Slimane-Baptiste Berhoun. Slim est déjà un vétéran du web, il a réalisé ou coréalisé plusieurs séries, du Secret des Balls aux Opérateurs et est connu pour sa participation en tant qu’acteur au Visiteur du Futur. Avec lui, nous avons beaucoup échangé tout au long du processus, de la préparation à la post-production. Il m’a particulièrement impliqué sur certains aspects, comme les costumes, où j’ai travaillé à approfondir le travail sur les couleurs amorcé en première saison, définissant une couleur de référence pour les trois personnages au cœur de cette saison : le rouge pour Hicham, le bleu pour Thibaut, le vert pour Elijah.

Sur le plateau, j’ai vu Slim enchaîner les (beaux) plans à une vitesse parfois vertigineuse : jusqu’à cinquante par jour de tournage. Pour ce faire, il a pu compter sur sa communication presque instantanée avec son chef opérateur, Mathieu Andrieux, sur une équipe image de haut vol, et sur des comédiens préparés qui ont dû affronter des conditions techniques difficiles, notamment le tournage par axe. C’est-à-dire que dans un décor donné, les caméras sont d’abord placées dans une direction, où l’on tourne ces axes des scènes 2, 17 et 31. Une fois les caméras déplacées, il faut refaire les trois scènes, en veillant aux raccords. Sans l’expérience de Slimane-Baptiste, nous aurions eu beaucoup de mal à mener à bien ce tournage. Il faut dire que j’avais espéré une petite augmentation du budget. Ce n’a pas été le cas. Par contre, nous avions une trentaine de pages en plus à tourner – la saison 2 dure d’ailleurs 25 minutes de plus que la première !

Certaines journées ont été particulièrement longues et difficiles, comme celle où nous avons enchaîné tous les intérieurs du Centre de rétention, soit 8 minutes utiles, plus la scène qui, dans l’épisode 15, mène Thibaut et Hicham à Fréjus (filmée dans un décor miraculeux, en plein Lyon). C’est une annexe de l’ancien siège de la région Rhône-Alpes à Charbonnières, où je me suis rendu plusieurs fois quand je travaillais à Aides entre 2006 et 2008, qui est devenu notre centre de rétention. Ce décor a été repéré alors que le tournage avait déjà commencé, puisque celui précédemment sélectionné s’est révélé finalement indisponible. Au tout début de cette journée de tournage, notre deuxième caméra est tombée en panne. On ne se doute pas de ces galères en voyant l’épisode 14, que Slim et moi adorons tous les deux, et où Malika Azgag se révèle particulièrement dans le rôle de Kenza. Un rôle auquel elle tenait particulièrement.

Je reste frustré par une erreur que j’ai moi-même commise. Une réplique du personnage de Kenza, dans laquelle elle pointait le fait que la plupart des lois homophobes des pays africains sont issues des périodes de colonisations, a été coupée au montage de l’épisode 8. Normal : elle tombait comme de l’exposition maladroite, face à des militants du Point G probablement déjà au courant. J’ai réalisé en visionnant les premières versions de montage que cette réplique aurait dû faire partie de l’échange d’arguments entre Kenza et l’employé du consulat. Les scénarios ne sont jamais terminés…

Cet épisode 14 se termine sur une action spectaculaire, inspirée d’une action similaire qui a eu lieu sur le Pont des Arts à Paris à l’été 2017, et qui bénéficie de plans filmés depuis un drone. Notre tournage s’est fait sur la passerelle du Palais de Justice, qui relie la presqu’ile au fameux cinquième arrondissement, revendiqué par des groupuscules d’extrême-droit violent. Les autorisations de tournage avaient été assorties de demandes sur la sécurité pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’incident. Mais aucun problème ne fut à signaler. En tout cas, pas ce jour-là.

(A suivre …)

Crédits Photos :  Jean Combier/Astharté.

Les Engagés, saison 2 à suivre sur Studio 4, 2 épisodes par semaine depuis le 12 novembre. Visible en dvd (chez Optimale Distribution) et en vod (Queerscreen.fr) dès le 6 décembre prochain. La saison 1 est disponible sur les mêmes supports.

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