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Mise à mort du cerf sacré de Yorgos Lanthimos / Compétition officielle

par | 23 Mai 2017 | Non classé

Les yeux grand fermés 

Et vous, que feriez-vous si on vous obligeait à exécuter l’un des membres de votre famille ? C’est la question que pose le réalisateur grec Yorgos Lanthimos dans Mise à mort du cerf sacré, en compétition officielle du Festival de Cannes 2017. Steven (Colin Farrell) est en proie au chantage de Martin (Barry Keoghan), adolescent perturbé et pervers. Les règles du jeu, c’est Martin qui les édicte. A cause de la négligence de Steven, cardiologue, le père de Martin est mort sur une table d’opération, prématurément. Steven doit payer et expier, alors l’adolescent s’en prend à la femme et aux deux enfants du chirurgien. L’un d’eux doit être exécuté, à Steven de décider lequel il sacrifiera. Comme Sophie dans le roman de William Styron, Steven, doit faire un choix. Tic-tac, tic-tac, les minutes sont comptées, les dés sont jetés. Impossible d’arrêter la machine. Tout le monde est (con)damné. Une situation critique et intime qui, en filigrane, évoque aussi la situation politique et sociale de la Grèce, négligée, saignée et pressée par l’Union Européenne.

Yorgos Lanthimos compose sa symphonie familiale et canonnière en plusieurs mouvements. Le premier quart d’heure, c’est à Théorème de Pasolini que l’on pense – Martin devenant l’attraction de toute la famille de Steven. Puis, les citations à Kubrick se font de plus en plus claires, à Eyes Wide Shut notamment : Steven d’abord, cardiologue comme Bill (Tom Cruise), la présence de Nicole Kidman ensuite, coiffée comme l’était le personnage d’Alice, et enfin la métrique du cauchemar et les références mythologiques et bibliques.  Mais la patte de Lanthimos est bien là. On pourrait lui reprocher quelques tics de mise en scène (trop de zooms et dézooms par exemple), la durée insoutenable de certaines scènes, et d’avoir eu la main lourde sur les pièces musicales classiques (Ligeti et Penderecki, Shubert, entre autres, encore des clins d’œil à Kubrick), cependant le regard distant et froid qu’il pose sur l’humain nous glace autant qu’il nous fascine. Les films de la sélection cannoise 2017 ont chacun à leur manière dressé un portrait épouvantable de notre espèce (Faute d’Amour, Une femme douce, Happy End, A Beautiful Day…). Lanthimos finit d’achever le tableau, ciblant la vanité, la médiocrité et la résignation, privilégiant le ton de la comédie noire. Car malgré l’horreur de cette histoire, il est permis de rire. C’est affreux, totalement déboussolant, malaisant, révoltant. Et pourtant le film s’accroche à nous, il nous habite encore, il s’agite et il nous mord. Terreur et noirceur indélébiles.

Réalisé par Yorgos Lanthimos. Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Raffey Cassidy … Durée : 2H01. En salles le 1er novembre 2017. 

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