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Le Grand bain de Gilles Lellouche

par | 21 Oct 2018 | CINEMA

Copyright Mika Cotellon – (c) (2018) TRESOR FILMS – CHI-FOU-MI PRODUCTIONS – COOL INDUSTRIE – STUDIOCANAL – TF1 FILMS PRODUCTION – ARTEMIS PRODUCTIONS

 Water poto

Quatorze ans après Narco, son premier long métrage co-réalisé avec Tristan Aurouet, Gilles Lellouche revient sur les écrans avec une nouvelle comédie qui met en joug les stéréotypes sur la masculinité et le bonheur. Tout commence avec Bertrand (Mathieu Amalric), un type profond qui reste à la surface de sa vie et mange du musli au Xanax au petit-déjeuner. Il aime sa femme (Marina Foïs, capitaine à bord) et ses enfants (des ado qui le voit comme un échec ambulant), mais le hic, c’est que Bertrand ne s’aime plus lui-même. Pour conjurer son état dépressif, il se rend à la piscine municipale pour une série d’exercices bienfaiteurs. Dans le grand bassin, il aperçoit des hommes en plein apprentissage. C’est le choc. D’autre “Bertrand” sont là, des quadra et quinqua qui n’ont pas la forme olympique mais qui mouillent le maillot, encouragés par leur coach, Delphine (Virginie Efira), ancienne gloire de la natation synchronisée, clope au bec et livre de poésie à la main. Il n’en fallait pas plus pour convaincre Bertrand de rejoindre cette bande de mecs mous du bide au moral à plat. Dans ce Full Monty à la sauce française, Lellouche réunit la crème des acteurs franco-belges (Canet, Anglade, Poelvoorde, Katerine, Moati) pour incarner ces types ordinaires et cassés qui se donnent une dernière chance de remonter la pente, unis dans la galère et la colère. Le défi qu’ils se lancent ? Représenter la France au championnat européen de natation synchronisée masculine. Un pari absurde, insensé, qui cependant pose les bases de cette comédie en bonnets de bain. Si l’on rit de bon cœur (dialogues savoureux, situations cocasses), le film est traversé par des émotions denses et variées. Car Lellouche met le doigt sur une question hyper sensible, celle de la virilité, dans une société testostéronée qui en a défini les règles, les codes, les représentations, les limites – la métaphore filée dès l’ouverture du film est géométrique, Bertrand expliquant qu’un cercle ne sera jamais carré, et vice-versa. Lellouche conte alors avec tendresse et justesse l’histoire de ces hommes – et femmes – désorientés par ce monde supérieur et mesquin qui tourne le dos à ceux qui n’entrent pas dans le moule, rejetés parce que dépressifs, différents, distraits. A l’ère de la réussite, du muscle et de photoshop, Lellouche nous montre des hommes imparfaits avec bourrelets, bedaines, calvities, des hommes non-solvables mais capables et crédibles, tandis que ce sont d’autres hommes qui les jugent ingrats, inaptes, et un peu “pédé” aussi (natation synchronisée = activité féminine = calcul hétéro-beauf). Il y a bien un discours critique sur la pression sociale qui brise des hommes, des femmes et des carrières, sur les injonctions à être heureux et dynamique (tabou de la dépression), sur les stéréotypes de genre et les systèmes de valeurs en kit qui rassurent les froussards. Lellouche réussit à nous surprendre avec Le Grand Bain, lorgnant du côté de la comédie anglo-saxonne, amère et piquante à la fois. Mise en scène enthousiasmante, comédiens et comédiennes remarquables (mention spéciale à Jean-Hugues Anglade, papa rockeur follement émouvant), tempo dosé, Le Grand bain frôle le 10/10 – bémol pour le final (décéptif) et souci avec le personnage d’Avanish (Balasingham Tamilchelvan), seul personnage racisé de l’histoire dont l’arc narratif n’est pas développé (un invisible qui reste invisible, et muet de surcroit). Hormis ces petits manquements, c’est un régal, l’eau est bonne, plongez.

Réalisé par Gilles Lellouche. Avec Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Philippe Katerine, Virginie Efira, Leïla Bekti, Félix Moati, Jean-Hugues Anglade, Noée Abita… Durée : 2h02. En salles le 24 octobre 2018. FRANCE. 

Copyright StudioCanal

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