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Saint-Jean-de-Luz/Rencontre avec Fabien Gorgeart, réalisateur de Diane a les épaules

par | 5 Oct 2017 | CINEMA, Interview

Diane, c’est la Bruce Willis de la GPA

Il présentait hier au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz son premier long métrage, Fabien Gorgeart nous parle de Diane a les épaules, une comédie réjouissante qui décloisonne genres et esprits, avec Clotilde Hesme, époustouflante, en tête d’affiche.

Comment vous sentez-vous, juste après la projection de ce premier long métrage en salle ?

Fébrile ! Mais bien. C’est une des premières fois que je montre ce film et je découvre les réactions aujourd’hui. C’est très émouvant.

Quel a été le point de départ de cette histoire de maternité pas comme les autres ?

C’est en réalité le croisement de plusieurs envies. D’abord, les histoires de procréation un peu décalées, la redéfinition de ce qu’est le couple et la famille, tout ça m’inspire. Ce sont des thèmes que j’avais déjà abordés dans mes courts métrages, notamment, Le Sens de l’orientation, dans lequel on retrouve le personnage de Fabrizio (Fabrizio Rongione, Ndlr) qui dans le court s’appelle Marco. Marco était stérile mais il voulait quand même avoir un enfant avec sa copine. C’était déjà un film plein de questionnements sur le désir de paternité. Puis j’ai fait un autre court métrage avec Clotilde Hesme et ses deux sœurs, pour une collection initiée par Canal +. J’avais sauté sur cette occasion car je tenais absolument à rencontrer Clotilde. Le film racontait la grossesse de plus de neuf mois d’une des filles, et le père présumé de l’enfant voulait absolument qu’elle accouche. Je voulais faire un genre de mini remake de Rio Bravo, avec cette femme enceinte coincée dans sa maison, soutenue par ses sœurs face à des hommes qui veulent tous l’emmener à la maternité.  Nous avons aussi ma femme et moi-même traversé des choses assez compliquées pour avoir un enfant, et il s’avère qu’elle a produit un documentaire sur les mères porteuses aux États-Unis (Naître père, Ndlr) il y a quelques années. Bref, voilà différents facteurs qui ont fait éclore les sujets de Diane a les épaules.

Ce rôle a été écrit justement pour Clotilde Hesme…

Oui, sans elle, je n’aurais jamais écrit ce film. Elle me fascine. Quand je l’ai rencontrée sur le court métrage, j’ai découvert qui elle était, son énergie, cet entre-deux aussi, entre femme fatale et ado dévergondée. Elle m’a vraiment surpris lors de notre première rencontre. Les cartes étaient rebattues et j’ai adoré ça. J’avais déjà beaucoup d’admiration pour elle, et j’en ai eu encore plus durant le tournage. Dans mes courts métrages, mes personnages principaux étaient souvent des hommes, et j’avais envie de faire un premier long en me mettant en danger. Je voulais m’autoriser à être une femme. Parce que je pense que si j’étais une femme, je serais Clotilde Hesme, mais en moins jolie évidemment ! Dans le film, son personnage se dit “je suis comme ci, comme ça et pas autrement” mais les rencontres et situations viennent froisser ses certitudes. Je voulais au départ que Diane ait une théorie très forte, un peu rohmerienne, sur la vie, l’amour, la procréation, puis que ces schémas soient bouleversés.

Oui, la modernité du personnage, c’est la redéfinition du genre…

Exactement. Pour moi, Diane, c’est la Bruce Willis de la GPA ! D’ailleurs, je pense que c’est grâce à cette punchline que j’ai eu l’avance sur recette (rires). Mais je pense sincèrement cela. Avant d’aimer John Ford ou Rohmer, j’ai aimé L’Arme Fatale ou Die Hard. Mel Gibson dans L’Arme fatale se déboîte l’épaule, comme Diane. J’avais envie qu’elle ait certains attributs de personnages de films d’action, les débardeurs façon Sigourney Weaver dans Alien par exemple, car c’est aussi ça ma culture cinéma.

Le trio de personnages masculins était déjà là dès le départ ?

Oui, tout à fait. Il y avait aussi l’envie d’écrire pour des comédiens, pas pour les trois parce que Grégory Montel, je l’ai rencontré après, mais je connaissais Fabrizio Rongione, et Thomas Suire a tourné dans quasiment tous mes courts métrages. Je l’ai découvert dans Pas de repos pour les braves de Guiraudie. On l’a peu vu au cinéma parce qu’il fait aussi beaucoup de musique, c’est assez génial et barré d’ailleurs. Pour Diane a les épaules, j’avais envie d’imaginer un monde où il n’y a presque que les hommes qui veulent des enfants et où les femmes sont celles qui les font. C’est moins théorique que ça dans le film bien sûr. Et le personnage de Fabrizio est intéressant pour ça, il rencontre cet femme enceinte qui le fascine et avec qui il veut jouer au vrai couple hétéro, alors qu’il ne s’agit pas de son enfant. Diane et Fabrizio s’amusent à jouer au couple hétéro de base, et ça crée ce décalage avec le reste.

Comment dirige-t-on Clotilde Hesme ?

Très facilement. Déjà, parce qu’on se connaissait et que je me suis totalement nourri d’elle pour l’écriture de ce personnage. C’est une comédienne hyper technique mais qui ne la laisse jamais transparaître. Je la trouve très forte. Ma passion depuis l’adolescence, ce sont les comédiens. Je les adore. je pourrais passer des heures avec eux, les filmer, inventer des situations. Avec Clotilde, on cherche le sens d’une scène plus que la justesse de son interprétation. Ça peut être troublant car comme elle est tout le temps juste, ça peut faire bifurquer le sens d’une scène aussi. Donc là, c’est un travail de dramaturgie brut.

La scène finale est un plan séquence remarquable. Combien de prises avez-vous faites ?

Trois. On ne pouvait pas en faire plus, sinon on dénaturait la charge émotionnelle de cette scène. Dans ce cas, tu commences à découper et tu triches avec l’idée de départ. On a tourné cette séquence presque à la fin, tout en étant rempli de l’émotion du film que nous étions en train de faire. C’était l’une des scènes les moins écrites du scénario car je voulais que Diane et Clotilde soient en questionnement permanent. Je savais le schéma émotionnel de la fin, mais je ne savais pas comment l’incarner avant que nous tournions la scène. Tout le film est sur un corps qui se transforme, et à la fin on revit la même chose mais sur un visage. Naturellement, l’habitacle d’une voiture recadre de manière très simple les choses.

Pourquoi avoir choisi la chanson “Yiddish Mame” qui court tout au long du film ?

Ma femme est de culture juive. Et j’avais l’idée de jouer de la représentation de la mère juive et d’en faire autre chose, puisque là, c’est Jacques, l’un des pères, qui est la vraie mère juive du film ! Il s’avère que cette chanson a mille versions, je les aime toutes, mais j’ai un faible pour celle d’André Toussaint, avec ses élans de musique créole. Il y aussi cette question du métissage à travers les différentes versions de cette chanson dans le film, la possibilité de se réinventer, de se redéfinir, et après la société suit ou pas le mouvement.

PMA/GPA, avez-vous une position ?

Oui, bien sûr, et elle se rapproche clairement de celle du film. Je pense qu’il faut que ce soit un arrangement entre des individus consentants, que ce soit un vrai don de soi. Je ne veux pas être un spécialiste de la question, je préfère rester à un niveau singulier, à l’échelle de ces gens qui se réinventent, comme dans le film. C’est l’altruisme qui, pour moi, crée le vertige. La naissance de l’émotion de cette femme en tant que femme et non pas en tant que mère.

Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira.

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