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San Sebastian International Film Festival – bilan de la 66e édition

par | 25 Sep 2018 | CINEMA

Zéa Duprez dans Les Météorites de Romain Laguna – crédit : KMBO

Être au carrefour des cinématographies du monde entier, tel est le pari du San Sebastian Film Festival et de sa 66e édition à laquelle ont été conviés des invités de marque tels Judi Dench, Danny DeVito ou Hirokazu Koreeda. Une sélection officielle composée de 20 longs métrages dont le dernier film de Claire Denis, High Life, chahuté à Toronto, de nombreuses sections parallèles dont une baptisée “New Directors” dans laquelle on ne trouve qu’un film français (Les Météorites de Romain Laguna), et des avant-premières en tout genre (beaucoup de longs passés par Cannes) comme Capharnaüm de Nadine Labaki, Leto de Kirill Serbrennokov, Cold War de Pawel Pawlikowski ou encore Girl de Lukas Dhont. Quelques mots sur les longs métrages (toutes sections et nationalités confondues) découverts ces derniers jours et, en bonus, deux questions au réalisateur et à la comédienne du premier film français Les Météorites.

High Life de Claire Denis

Une micro-société de la seconde chance regroupe au sein d’un vaisseau spatial dérivant vers un trou noir des homme et des femmes autrefois condamnés à mort sur Terre. L’entretien des corps, le recueil des fluides et la domestication des pulsions sexuelles, violentes (ou les deux) rythment le quotidien de ces exilés presque volontaires. Le suspense est comme ouaté par l’ambiance sourde et le charme réflexif du film agit en profondeur. Binoche et Pattinson, entre autres, sont les incroyables passeurs de ce récit qui se frotte aux tabous et aux méandres de l’âme humaine. Claire Denis, qui fait du renouvellement de son art une marque de fabrique, brasse avec intelligence le théorique et l’organique dans un saisissant huis-clos perché. Embarquement hautement recommandé. En salles le 7 novembre 2018.

Roma d’Alfonso Cuaron

L’action se déroule au début des années 1970 à Mexico City dans une propriété bourgeoise où vit une  famille nombreuse et ses employées de maison. Le réalisateur suit au second plan les déboires de la maîtresse des lieux que son mari délaisse (comme leurs enfants) et au premier, ceux de la nounou, séduite par un jeune homme fana d’arts martiaux qui ne la voit que comme une servante et dont elle va tomber enceinte. Certainement le plus personnel des films de Cuaron (Les Fils de l’homme, Gravity), Roma est aussi le plus majestueux : grâce de la photographie en noir et blanc, réalisation ample et fluide ponctuée de plans séquences et travellings qui laissent transi d’admiration (exécution virtuose, hommage au néo-réalisme italien), travail sur le son, actrices et acteurs d’une justesse folle, richesse des thèmes (maternité, dévotion professionnelle, fracture sociale, inégalités, violences urbaines). Tout simplement subjuguant. Prochainement sur Netflix.

A Star Is Born de Bradley Cooper

Une rock star rencontre une jeune chanteuse dans un cabaret gay, tombe sous son charme et, l’emmène, presque malgré lui, au sommet du show-biz US. Elle va vivre ses rêves de gloire tandis que lui sombre dans l’alcool. Avec A Star is born, Bradley Cooper, ici premier rôle masculin et, pour la première fois, réalisateur, offre un rôle en or à Lady Gaga. Avec ce personnage d’Ally qui joue de nombreux effets miroirs avec la véritable carrière de l’icône, elle prouve à tous ceux qui en doutaient qu’elle est une artiste complète. Le parcours est fléché mais se laisse suivre avec un certain plaisir s’il on met de côté les quelques facilités d’écriture qui se font jour surtout dans la seconde moitié du récit. Love story musicale qui bénéficie d’une mise en forme plutôt maîtrisée, A Star is born ne révolutionne rien mais vaut le coup pour son duo d’acteurs au charme certain. En salles le 3 octobre 2018

First Man de Damien Chazelle

Sans jamais verser dans le spectaculaire ni dans l’emphatique, le dernier film de Damien Chazelle (Whiplash, Lalaland) nous embarque au cœur d’un des moments-clé de l’histoire des États-Unis : la conquête spatiale. En jeu, l’image de la nation, écornée par les Russes, en tête de la course. Ryan Gosling (impeccable) incarne Niel Armstrong, l’homme qui a décroché la lune pour son pays, tout ça en mémoire de sa fille morte prématurément à l’âge de 4 ans. Là où Chazelle réussit son coup, c’est dans sa manière habile et efficace de jouer du micro et du macro, s’intéressant à Armstrong et l’immensité de son chagrin (qui se reflète dans les cieux qu’il traverse à vitesse surhumaine) avec grâce et bienveillance. Une scène d’ouverture à tomber par terre, de la maîtrise, comme toujours, des émotions vives et fragiles à la fois. Un petit pas pour l’homme, un grand coup de cœur pour First Man. En salles le 17 octobre 2018.

L’homme fidèle de Louis Garrel

Après Les deux amis, drame sentimental truffaldien, Louis Garrel raconte l’histoire d’un homme (Abel – Louis Garrel) et une femme (Marianne – Lætitia Casta) qui se retrouvent, après huit ans sans nouvelles, à un enterrement. Des retrouvailles qui vont se transformer en une romance sans caprice et sans exclusivité. Infidèles et orgueilleux, les deux personnages vont se mettre au défi, succombant aux désirs des autres pour voir si les leurs subsistent. Élégant, fin, contemporain, L’Homme fidèle s’accorde à une mélodie qu’on connaît bien (les amours libres, intenses et floues chères à la Nouvelle vague) tout en modernisant l’orchestration par le jeu d’acteur – Lily-Rose Depp éblouissante, pleine de fraîcheur, singulière, Casta plus grave, profonde. Deux actrices que Garrel soigne. En salles le 27 février 2019.

Marilyn de Martin Rodriguez Redondo

L’Argentin Martin Rodriguez Redondo réalise avec Marilyn un premier long métrage émouvant inspiré par une histoire vraie et tragique. Marcos, ado timide, ne se reconnaît pas dans les modèles qu’il a autour de lui dans ce village isolé de la campagne argentine peu enclin à accepter la différence. C’est quand il sort danser avec les jolies robes qu’il se confectionne, maquillé et apprêté, qu’il se sent vivant. C’est quand il est Marilyn qu’il s’affirme malgré les dangers, les déceptions et l’incompréhension familiale. Le portrait est sensible, et, s’il n’évite pas tous les pièges du “coming of age movie”, il appréhende avec justesse et un vrai sens du récit la noirceur du fait divers. Le film a débuté sa carrière prometteuse dans la section “Panorama” de la Berlinale avant de remporter le grand prix du festival Queer Lisboa la semaine dernière au Portugal. Pas de sortie en salles programmée pour le moment.

Los Silencios de Beatriz Seigner

Présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs, Los Silencios raconte le quotidien d’Amparo et de ses deux enfants, Nuria et Fabio, réfugiés sur une petite île flottant au milieu de l’Amazonie. Un village insulaire aux croyances magiques et dont les habitants souffrent tous de la perte d’un proche – conflit armée colombien sévère et tragique qui emporte pères, frères et enfants à la frontière. Traversé par des idées de cinéma sublime (comme ces couleurs fluo injectées dans le décor naturel et sauvage), ce premier long métrage de Beatriz Seigner travaille les motifs du deuil et des blessures de guerre avec autant de réalisme que de poésie. Mention spéciale pour les scènes d’assemblées villageoises, théâtre de témoignages bouleversants, et pour le final, d’une beauté visuelle choc. En salles le 3 avril 2019.

Les Météorites de Romain Laguna

Un diplôme estampillé Fémis, quatre courts à son actif, Romain Laguna, natif de Béziers, signe un premier long métrage en forme de parcours initiatique, celui de Nina, 16 ans, interprétée par la remarquable Zéa Duprez dont c’est le premier rôle au cinéma. L’adolescente, déjà indépendante, va croiser la route d’un jeune homme, Mourad, qui va lui faire tourner la tête. Une rencontre providentielle que Nina associe à un phénomène qu’elle seule a observé quelques jours plus tôt : la chute libre d’une météorite et son crash dans les montagnes. La métaphore est belle, l’onirique s’immisce par touche dans cette chronique d’été où les sentiments griffent et caressent en même temps. Ardent, dans la veine d’Ava de Léa Mysius (2017). En salles en janvier 2019.

Question express à Romain Laguna, réalisateur, et à Zéa Duprez, comédienne

Romain, comment vous est venue l’idée de ce portrait d’adolescente ?
Romain Laguna : J’ai commencé à écrire en 2013 en sortant de la Fémis avec l’envie de tourner dans ma région, autour de Béziers, là où j’avais déjà tourné mon premier court. La première intention était de faire vivre ces décors, cette atmosphère particulière du sud. Au début le personnage principal était un garçon prénommé Alex, même si celui de Nina existait déjà, les choses étaient davantage centrées sur des confrontations et errances au masculin. Le film a eu plusieurs titres aussi à ce moment là, quand je tâtonnais : Tu porteras mon nom, Terre rouge ou encore Les Reptiles… Je pense que j’ai voulu assez rapidement fuir le réalisme. Au bout de 20 ou 30 pages de scénario, je n’y arrivais pas, je bloquais sur certains aspects. Salvatore Lista, scénariste, est arrivé à la rescousse, il a plus d’expérience et cela m’a rassuré sur la gestion de la structure. Là, tout s’est accéléré, Nina est devenue l’héroïne, et l’idée de la météorite est apparue. J’étais à la recherche d’un élément qui me permettait d’être dans la chronique, dans un faux film d’aventure mais sans suspense et sans rythme imposé.

Zéa, comment votre route a croisé celle de Romain ?
Zéa Duprez : J’étais à un concert de rap à Sète et j’allais voir des amis qui venaient d’avoir leur bac et qui commençait à tourner de plus en plus. A peine arrivée, je suis tombée presque nez-à-nez avec un inconnu qui me dit qu’il fait un casting sauvage, qu’il recherche une jeune fille dans mon genre. Il m’a donné des fiches avec des lézards dessus en me disant de venir à l’adresse indiquée. Le lendemain matin, j’ai envoyé un mail, j’ai rencontré la responsable du casting. J’ai passé une scène, mais Romain avait déjà trouvé quelqu’un d’autre… Coup de chance ou pas, il est revenu vers moi quelques temps après !
Romain Laguna : On a failli se rater !

L’intégralité de cet entretien sera à lire sur FrenchMania lors de la sortie en salles des Météorites, en janvier 2019.

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