Du 28 novembre au 7 décembre, le coeur de la ville de Marrakech va battre au rythme du cinéma. Le jury – présidé par l’actrice britannique Tilda Swinton, et comptant parmi ses membres la réalisatrice française Rebecca Zlotowski – récompensera de l’Étoile d’or l’un des 12 films en compétition. Des longs métrages venus des États-Unis, d’Angleterre, du Brésil, du Maroc, de Chine ou encore du Sénégal. Zoom sur une partie des coproductions françaises en sélection.
Compétition
Bombay Rose de Gitanjali Rao – coproduction Inde-France
Conte musical et animé, Bombay Rose brosse le portrait d’une jeune fille de 21 ans qui tresse des couronnes de jasmin pour faire vivre sa famille et scolariser sa jeune sœur tout en rêvant au grand amour. Un jour, elle croise le regard d’un jeune garçon qui, lui aussi, vend des fleurs de l’autre côté de la rue. Malheureusement, cette histoire d’amour-là ne peut exister qu’à Bollywood : une hindoue et un musulman ensemble, c’est interdit. Malgré le poids des thèmes (la condition des femmes à Bombay, les désirs et amours réprimés, la précarité, les divisions culturelles), ce dessin-animé, entièrement peint à la main et à destination d’un public adulte, reste toujours du côté de la douceur et la simplicité. Bombay Rose est traversé par autant d’émotions qu’il y a de nuances dans les couleurs chaudes qui maquillent les rues de la ville-monde. Quant aux chansons, elles aussi sont douces, et la complainte de l’héroïne dit tout de la sensibilité du film.
En salles prochainement.
Sortilège (Tlamess) d’Ala Eddine Slim – coproduction Tunisie-France
Le cinéaste tunisien, auteur du mystique The Last of us, revient avec un deuxième long métrage où il imprime définitivement un style, une vision, son inspiration. L’histoire ici est celle d’un déserteur. Un militaire en cavale (séquence virtuose de sa course) qui va trouver refuge dans une forêt hantée au milieu de laquelle coule une rivière. Film impressionniste où le symbolique remplace le figuratif, Sortilège, qui a fait sa première mondiale à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année, surprend par son axe et son découpage (deux parties) et envoûte par son rythme, sec puis planant. Les sens sont en éveil, et le cerveau travaille face à ces troublants tableaux qui évoquent à leur manière des épisodes bibliques fameux. Un homme, une femme enceinte, de la végétation et des serpents… Le conte, le langage et l’imaginaire qu’il mobilise soutiennent le thème de la transfiguration. L’expérience est fantastique et mystique.
En salles le 19 février 2020.
Le Miracle du Saint-Inconnu d’Alaa Eddine Aljem – coproduction Maroc-France
En sélection à La Semaine de la Critique cette année, ce premier long métrage d’Alaa Eddine Aljem raconte les déboires d’un bandit marocain qui voulait remettre la main, à sa sortie de prison, sur le butin qu’il avait enterré dans le désert des années plus tôt, avant de s’apercevoir que sa planque est devenue un lieu de culte fréquenté nuit et jour… De cette situation cocasse émerge un scénario habile. Le réalisateur se sert de la fable et du burlesque pour évoquer la question brûlante de la foi dans un pays qui croit aux saints et aux miracles. Le paysage est désertique, et le village dans lequel se rend le bandit en attendant de trouver une solution pour son or semble être fraîchement sorti de terre. C’est un petit théâtre qu’Alaa Eddine Aljem compose, et sur la scène duquel se joue, d’un air taquin, une comédie mœurs et une satire sociale intelligentes et irrésistibles. Le film a remporté en novembre dernier le Prix du Jury aux Rencontres du cinéma francophone en Beaujolais.
En salles le 1er janvier 2020.
Séances spéciales et Section 11e continent
It Must Be Heaven d’Elia Suleiman – coproduction France-Qatar
Dix ans séparent Le temps qu’il reste de It Must Be Heaven. C’est avec beaucoup d’humour qu’Elia Suleiman fait son retour, se racontant, dans une comédie à sketchs, en cinéaste qui cherche sa place dans un monde affolant et aberrant. L’observateur silencieux et interloqué, c’est lui, le poète aux yeux ronds, et sa performance est entre celle de Buster Keaton et Jacques Tati. It Must Be Heaven dépeint ce qu’il y a burlesque dans l’exil, tout comme il dépeint le burlesque de l’existence elle-même. On redécouvre Paris et New York, deux villes que le film traverse, à travers les yeux d’un exilé donc qui réfléchit et nous fait réfléchir en même temps à la question de l’identité palestinienne à travers le monde et l’état d’urgence dans lequel ce dernier tout entier se trouve. Féroce.
Un fils de Medhi M. Barsaoui – coproduction Tunisie-France
C’est l’histoire d’une famille bourgeoise et heureuse – papa, maman et le petit Aziz, 10 ans. Une famille privilégiée, coupée des réalités, tandis que la Tunisie tangue, sept mois après la chute de Ben Ali. Farès et sa femme Meriem honorent une promesse faite à Aziz : partir en vacances dans le désert, au sud de la Tunisie. C’est là que le drame arrive. Une embuscade terroriste, des tirs, une balle perdue, Aziz inconscient. Dès cet instant, le film prend la tournure d’un thriller psychologique, un semi huis-clos où la montre est jouée et les dilemmes s’additionnent. Interprétée par des comédiens de haute-volée (Sami Bouajila, Najla Ben Abdallah, Youssef Khemiri), Un fils a quelques accents mélodramatiques un poil systématiques mais son portrait de famille brisée par la tragédie fait évidemment sortir les mouchoirs de ses poches.
En salles le 11 mars 2020.
Abou Leila d’Amine Sidi Boumedine – coproduction Algérie-France
L’action se déroule en 1994, quelque part dans le désert algérien que traverse deux flics et amis à la recherche d’un dangereux criminel baptisé Abou Leila. Une quête qui va les mener tout droit en enfer, confrontés à leurs propres peurs et violence. Western, film fantastique, road-movie, fable macabre, ce premier long métrage est tout à la fois, envoûtant, délirant, perturbant et cru. Les yeux sont rivés sur l’écran, écarquillés de la première à la dernière minute, le souffle est court, l’ambiance moite, collante. Abou Leila est un véritable pari de cinéma, et il s’agit d’embarquer dans ce fiévreux circuit et de se laisser surprendre. En un film seulement, Amine Sidi Boumedine, scénariste et réalisateur, s’impose en cador. Présenté à La Semaine de la Critique, Abou Leila continue d’étonner les festivals du monde entier par sa beauté, sa radicalité et sa singularité.
En salles le 4 mars 2020.