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22e édition des Œillades d’Albi : Journal de bord, épisode 1

par | 23 Nov 2018 | CINEMA

Cette année toujours, FrenchMania est partenaire du Festival du film francophone d’Albi, « Les Œillades », dont la 22e édition se déroule du 20 au 25 novembre 2018. Une programmation riche de 25 avants-premières (dont 12 concourent pour le Prix du public), coups de cœur divers, compétition de courts-métrages, coup de projecteur sur le documentaire et sur les festivals francophones d’Angoulême, dont le président Dominique Besnehard a reçu de la part du festival le trophée de « L’homme caméra », et de Namur. Pour ce premier épisode, focus sur l’avant-première du film Les Rois mongols de Luc Picard en compétition pour le Prix du Public, et sur deux œuvres du patrimoine récent à (re)découvrir.

 

Copyright Téléfiction Distribution et Marketing

LES ROIS MONGOLS (2017) de Luc Picard

Des enfants pas rois

Des bocaux remplis de sucreries sont disposées sur le comptoir d’une épicerie, une jeune fille chourave des bonbons, dès que la gérante tourne le dos, pour rapporter un peu de douceur à son jeune frère. La première scène donne le ton. Comme les récipients de friandises, le long métrage – qui prend  la forme d’un conte familial social – est tourné à hauteur d’enfants. C’est notamment à travers les yeux de Manon, jeune rebelle de 12 ans et narratrice, qu’on appréhende le récit. Elle vit à Hochelaga-Maisonneuve, quartier pauvre de l’Est de Montréal, hébergée chez sa tante et son oncle car ses parents ne peuvent plus s’occuper d’elle et de son petit frère Mimi. L’épreuve devient encore plus rude lorsque Manon apprend qu’elle et son frère seront bientôt séparés, placés dans deux familles d’accueil différentes. Inspirée par les événements politiques qu’elle suit sur la télévision Radio-Canada, la jeune révoltée va organiser un stratagème et convaincre ses cousins de kidnapper une vieille voisine, afin de revendiquer leurs droits et leurs libertés par le biais d’une lettre anonyme. En situant l’action lors de la crise politique d’octobre 1970 à Montréal, et précisément au moment de l’enlèvement de l’attaché commercial du Royaume-Uni Richard Cross, de l’entrée de l’armée dans les rues de la cité et l’assassinat du vice premier ministre Pierre Laporte par le Front de Libération du Québec (FLQ), le réalisateur tisse une habile toile de fond à cette histoire familiale, mettant en parallèle le déterminisme social et les actions inconscientes de Manon. Une période cruciale de l’histoire du Québec vue de l’intérieur par le regard naïf d’adolescents, restituée par une reconstitution remarquable de l’époque, à travers les objets, les décors, les costumes, les archives télévisuelles, et les chansons de variétés savamment choisies. La révélation du long métrage, c’est bien sûr Milya  Corbeil-Gauvreau (Manon). Un jeu riche, authentique. Elle est secondée par l’adorable Anthony Bouchard (Mimi). Luc Picard signe une œuvre émouvante, empreinte d’un regard lucide sur le monde adulte.

Durée : 1H44. CANADA – Prochainement en salles

Copyright Splendor Films

CLOSE UP (1990) de Abbas Kiarostami

Au-delà du faux…

« La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde ». La formule est de Godard. Fin des années 80, un fait divers, avec en toile de fond le cinéma, donne naissance à un chef d’œuvre insaisissable, Close Up, film qui brouille la frontière entre vérité et mensonge. Kiarostami découvre qu’un homme au chômage (Hossein Sabzian), féru de cinéma, s’approprie l’identité d’un metteur en scène populaire, en l’occurrence Moshen Makhmalbaf, pour subtiliser de l’argent à une famille bourgeoise de Téhéran, avec la promesse de réaliser son prochain film dans leur maison et de les y faire tourner. La famille soupçonne l’imposteur et appelle la police. L’usurpateur est arrêté. Abbas Kiarostami réunit précipitamment une équipe de tournage et décide qu’il « fallait tourner sur le vif sinon ce serait trop tard. Je suis allé chercher mon équipe (…) et je l’ai emmené à la prison » (Entretien avec Michel Ciment in Positif, octobre 91). A l’aide d’une caméra cachée, il interroge l’escroc. Cette séquence incluse dans le film n’apparaît pas au début car l’ambition de Kiarostami n’est pas seulement documentaire. Obtenant de la part de tous les protagonistes de l’histoire qu’ils rejouent les scènes comme elles se sont déroulées, il fait bouger les lignes de son projet en instaurant un dispositif vertigineux, une mise en abyme inédite où la fiction devient réelle par le biais d’une reconstitution. D’emblée, le récit apparaît sous une forme éclatée : les flashbacks et les reconstitutions servent de support à la fiction. Le film fonctionne par séquences durant lesquelles le réalisateur utilise plusieurs focales, notamment pour le fameux «close up » (gros plan) lors des longues scènes du procès ou des entretiens avec l’escroc. Chaque séquence d’investigation possède ses éléments techniques – bandes d’enregistrements, téléobjectif, micros HF usés, camionnette….La mise en scène déploie régulièrement de longs plans fixes, du hors-champ, des images dégradées, et n’empêche pas l’apparition d’un clap ou de perches son, afin de distiller constamment le doute entre documentaire et fiction. Ce manifeste cinématographique profite également de ce fait divers pour mettre en perspective la société iranienne, la censure, le manque de liberté, le droit au rêve et la place de l’art. Car, au fond, le malfrat s’avère être un homme en souffrance. Cette œuvre magistrale emplie d’inventions formelles et de poésie est un vibrant hommage au pouvoir du cinéma mais aussi une remarquable méditation sur l’art et la bonté de l’homme. Depuis Close Up, la planète cinématographique, ne tourne assurément plus comme avant.

Durée : 1H34. IRAN

Copyright Wild Bunch Distribution

LA TORTUE ROUGE (2016) de Michael Dudok de Wit

Retour à l’essentiel

Ce somptueux conte écolo d’animation narre le destin d’un naufragé échoué sur une île exclusivement peuplée de crabes, d’oiseaux, de phoques et de tortues. Michael Dudok de Wit, récompensé d’un César en 1996 pour  Le moine et le poisson et d’un oscar en 2001 pour le chavirant Père et fille, associer son talent à celui des studios Ghibli (collaboration inédite qui marque une étape importante dans l’histoire de l’animation), pour nous offrir les grandes étapes de la vie d’un être humain. La mise en scène, épurée, révèle sous des traits de crayons, une bouleversante ode à la nature et à l’amour. La narration se décline avec une simplicité et une intelligence vertigineuse. Le récit, coécrit par Pascale Ferran, enchante par ses profondeurs et nous raconte le rapprochement entre l’homme et la nature. Sans aucun dialogue, le long métrage s’appuie sur un travail du son exceptionnel; le bruit du vent, des vagues et des animaux irrigue le quotidien de notre naufragé tandis que la musique accentue les mille et une émotions qui emplissent le personnage. Le cinéaste, tel un pointilliste, n’omet aucun détail, et rend à la beauté du récit la pareille visuellement. Il adopte un rythme lent et contemplatif bienfaiteur, à l’heure où le monde ne prend plus le temps de rien et les films vont beaucoup trop vite. La Tortue rouge est bel et bien une œuvre minérale qui lorgne vers le fantastique, capte la solitude avec acuité, puise ses influences du côté du sublime L’île nue (1960) de Kaneto Shindo et des aventures de Robinson Crusoé. Un bijou universel qui fend toute les carapaces et touche au cœur.

Durée : 1H21. FRANCE – BELGIQUE.

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