Je voulais laisser de l’espace à la parole. Qu’elle soit libre, vivante, active.
En compétition à La Semaine de la Critique 2017, Une Vie violente, deuxième long métrage de Thierry de Peretti, a marqué les esprits, frappant à grand coup dans le cœur des cinéphiles. Metteur en scène au théâtre, Thierry de Peretti tape dans l’oeil de la Quinzaine des réalisateurs en 2013 avec son premier film, Les Apaches, le récit d’une bande de jeunes rattrapée par ses bêtises, mais surtout d’un territoire, la Corse, rattrapé par sa réalité, loin de celle que s’imaginent les touristes sur leur serviette de plage. L’action d’Une Vie violente, le cinéaste la situe entre le début des années 1990 et le début des années 2000, quand les esprits s’échauffent. Stéphane, le héros, a quitté Bastia pour faire ses études à Paris, mais la mort de son meilleur ami le ramène sur ses terres, et la mèche est alors allumée. Entretien avec le réalisateur corse dont l’engagement est cinématographique, une semaine après la sortie du film au démarrage prometteur en salles.
Parlez-nous d’abord du jeune militant corse qui a inspiré le personnage de Stéphane, héros au destin tragique.
J’avais vu dans le journal la photo de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné en 2001, et elle m’avait troublé. Nous avions sensiblement le même âge et un parcours assez similaire, et j’étais saisi par le portrait de ce garçon. Le récit de lui que faisait l’article ne collait pas avec ce qui se dégageait de la photo de cet homme, beau, sombre mais ardent. Son parcours était atypique, sa vie partagée entre Bastia et Paris; il écrivait – j’ai d’ailleurs lu une de ses nouvelles qui m’a beaucoup plu. Je ne l’ai pas connu, mais nous avions des amis communs.
Lors d’une des avants-premières du film à Bastia, vous avez dit que vous n’aviez pas choisi cette histoire, mais que c’était elle qui vous avait choisi…
Oui, parce qu’on me demande souvent ce qui a été moteur. Le véritable moteur, pour ma part, c’est le désir. J’avais le désir de raconter une histoire, c’était presque un état d’urgence. J’ai entendu un jour Rebecca Zlotowski dire qu’il n’y pas de film entrepris sans une grande peur derrière, et ça a à voir avec cela pour Une Vie violente. Je crois qu’il doit y avoir suffisamment d’importance et de mystère dans le sujet abordé pour convoquer le cinéma.
Dès la première séquence, le poids de la fatalité se fait sentir et le titre l’annonce, ça va mal finir. Comment évite-t-on à l’écriture de tomber dans les clichés d’un parcours tragique ?
Je ne sais pas si on évite tous les écueils. Mais tout a été une question de point de vue et de cinéma. L’important, c’est le comment. Comment Stéphane réagit face aux événements, comment la tension monte, comment raconter la confusion et la violence, mais aussi filmer ceux qui font l’action. Je voulais laisser de l’espace à la parole. Qu’elle soit libre, vivante, active. Les personnages parlent beaucoup dans le film, et les sujets au cœur des discussions sont âpres, sensibles et politiques. Beaucoup me parlent de l’aspect “documentaire” du film, c’est-à-dire réaliste. Mais rien n’a été pris sur le vif. Tout a fait l’objet d’un travail minutieux, du casting, que nous avons mis plus d’un an à rassembler, aux séances de préparation. Le tournage s’est d’ailleurs fait en trois temps, en été, à l’automne et l’hiver, sur une année.
Peut-être que la confusion fiction/documentaire vient du fait que ce thriller ne met pas à disposition du spectateur les marqueurs dont le genre dépend d’ordinaire …
Je n’avais pas pensé les choses de cette manière, peut-être. Effectivement, les lignes bougent, et je n’imaginais pas un film au caractère unique et définitif. Il a différentes natures, emprunte à différents genres, et joue même sur certains niveaux de textures d’images, avec le super 16 et la DV par exemple. Avec Claire Mathon, chef opératrice, nous avons pensé depuis le départ le film de manière minimaliste, intime mais ample, pour que résonne la petite et la grande histoires. Certains réalisateurs n’aiment pas parler des références qui habitent leur film. Moi, si, volontiers. Avant et pendant le tournage, j’ai vu et revu L’Allemagne en Automne de Fassbinder, film à sketchs qu’il a fait au lendemain de la mort en prison de la bande à Baader, mais aussi L’Ambassade de Chris Marker.
Avec Claire Mathon, chef opératrice, nous avons pensé depuis le départ le film de manière minimaliste, intime mais ample, pour que résonne la petite et la grande histoires.
Le financement a-t-il été plus facile à trouver pour ce deuxième long métrage, comparé aux Apaches ?
C’est le jour et la nuit ! Le scénario a très vite suscité de l’intérêt, de l’enthousiasme, et nous avons rapidement trouvé les fonds pour financer le film. Un soulagement pour moi comme pour Frédéric Jouve, mon producteur.
Il n’y a pas de vedettes à proprement parler dans le film, était-ce un choix délibéré ?
La recherche d’une forme d’authenticité ne fait pas partie de ma démarche. Je ne calcule pas ce genre de choses. Ce qui m’importe, c’est la cohérence. Je filme les gens qui m’inspirent, que je rencontre, qui me parlent. Si je tombe sur quelqu’un d’intéressant, je n’hésite pas à repenser un plan ou une séquence pour lui faire une place. Le travail d’écriture a été évolutif. Bien sûr il y avait un scénario solide, co-écrit avec Guillaume Bréaud, mais à mesure des séances de travail avec les acteurs, les choses ont continué de s’écrire naturellement, et il fallait être souple. Après, des vedettes, pourquoi pas, je n’y étais pas hostile. Mais qui ? Qui aurait pu tenir le rôle de Stéphane par exemple ? Nous avons longuement cherché les acteurs avec Julie Allione, la directrice de casting, et je ne fais pas de distinction pour ma part entre acteurs professionnels et non professionnels. Tous les acteurs que nous avons choisis pouvaient jouer, avaient envie de jouer, et surtout, comprenaient la complexité de leur personnage et les enjeux du discours.
Une Vie violente a donné naissance à un autre film en parallèle. Quelle en est sa nature ?
C’est ce qu’on pourrait appeler la Face B d’Une Vie violente : une série d’entretiens de jeunes hommes qui auraient pu incarner l’une des dimensions du personnage principal, Stéphane. Ce documentaire offre aussi un portrait de coupe d’une certaine jeunesse en Corse. J’ai entrepris de le monter pendant le montage d’Une Vie violente, à un moment où j’étais un peu perdu dans le montage de la fiction. J’avais besoin de recul, de retrouver quelque chose de plus réel et contemporain. C’est un film à part entière, un film miroir.
Des projets à venir ?
J’ai envie de tourner à Paris, puisque j’y vis aussi… Un projet romanesque, comme Une Vie Violente, mais qui se passerait aujourd’hui.
Propos recueillis par Ava Cahen.