Maris et femmes
D’ordinaire, ses scénarios sont originaux, mais cette fois-ci, Marc Fitoussi s’est laissé tenter par l’exercice de l’adaptation. Du roman de Karin Alvtegen, découvert sur les conseils de sa productrice Christine Gozlan, il ne garde cependant que l’intrigue conjugale, celle d’une femme trompée qui cherche par tous les moyens – y compris les plus sadiques – à regagner les faveurs de son infidèle époux. C’est un tout autre décor qu’imagine alors Fitoussi. Exit Stockholm où l’action se déroulait initialement, bonjour Vienne et sa petite communauté chic d’expatriés français. Ève (terrifiante Karin Viard) est mariée à Henri, chef d’orchestre de renom avec qui elle mène la grande vie. Contrairement à son mari (parfait Biolay), Ève n’est pas née dans la soie, et son statut social, celui qui fait briller les yeux des autres, elle ne peut pas le laisser lui échapper sur un coup de braguette. Si Fitoussi ne prend jamais de haut les personnages qu’il met en scène, il n’arrondit pas non plus les contours peu aimables qui les définissent, parce que dans leurs costumes de marque, tous sont pathétiques et arrogants. Miel et fiel ici ne sont pas des mots si lointain, et c’est au vitriol que se lavent les affronts. Les Apparences porte bien son titre : un film noir qui nous montre l’envers du décor, chabrolien dans sa structure, hitchcockien dans son tissu – la musique signée Bertrand Burgalat s’apparente par endroit aux grands mouvements de Bernard Herrmann. Comme souvent dans les fictions du réalisateur, les actrices sont épatantes. Karin Viard bien sûr, en mondaine fêlée dont le sourire fige, Pascale Arbillot, sa meilleure amie au carré blond rigide, et Lætitia Dosch, la nouvelle maîtresse d’école des gosses de riches, et la nouvelle maîtresse d’Henri aussi, jeune, bohème. Toutes les conditions du crêpage de chignons sont réunies, mais ce qui intéresse Marc Fitoussi se joue ailleurs et en sourdine. Dans ce monde-ci, irréel pour la plupart d’entre nous, la façade devient mascarade. Et c’est en cela que Les Apparences séduit, en plus de son ambition, son sens des détails et de la virtuosité des acteurs : par son propos, féroce, sur le déni, sur le refoulement, et à Vienne en plus, Freud n’est pas loin de ces concepts. Pas dépourvu d’humour non plus, le film éprouve les limites du grotesque, comme Woody Allen le fait dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu qui met aussi en scène un petit manège bourgeois qui ne tourne plus rond. Le couple, au scalpel, les névroses, à la pelle, des coups bas, avec ou sans éclat, et un dernier plan qui vous glace le sang. Tout le monde avance masqué, comme au bal, et c’est moins un baiser qu’une place sur la piste de danse que chacun cherche, par amour du rang. Froisser du papier à musique, ça réussit à Fitoussi.
Réalisé par Marc Fitoussi. Avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Laetitia Dosch … Durée : 1H50. En salles le 23 septembre 2020. FRANCE – BELGIQUE