Pour la première fois réunies à l’écran, Mélanie Doutey et Louise Bourgoin sont les héroïnes de L’enfant rêvé de Raphael Jacoulot, en salles le 7 octobre 2020. Entretien.
Vous jouez deux personnages archétypaux – la femme trompée et la maîtresse désenchantée – mais, petit à petit, ils reflètent d’autres enjeux…
Louise Bourgoin : C’est précisément ce qui m’a plu dans le scénario, l’ambiguïté, le fait que les personnages se dévoilent par petites touches. Le personnage principal, c’est François (joué par Jalil Lespert, NDLR), nous avons avec Mélanie des rôles qui prennent moins de place, et c’est toujours pour moi une difficulté, parce que quand on a un premier rôle à défendre, on a plus de latitude, or, ici, il a fallu composer autrement et arriver à faire exister son personnage, malgré le côté écrasant de celui de François, et c’est d’ailleurs le propos du film… Le désir de paternité de François écrase tout sur son passage, il le fait dévier de la réalité, et je ne crois pas avoir lu ou vu ce sujet-là traité de cette manière au cinéma. Il y a, à mon sens, deux films en un : un drame conjugal très concret, dans un esprit un peu dardennien, qui se compose des événements que traverse le couple formé par Mélanie et Jalil, et une romance plus abstraite, plus lyrique, dans laquelle se lovent mon personnage, Patricia, et celui de François.
Mélanie Doutey : Oui, quand François rencontre Patricia, on bascule dans le fantasme, il y a là une forme de sublimation. Même moi en regardant le film, alors que je joue la femme de François, donc la femme trompée, j’ai ressenti ça. En termes d’images, ça convoque plein de choses : un autre cadre, une autre lumière. Il y a des plans quasiment hamiltoniens, des flous, des flairs. On rentre dans un monde enchanté qui est celui de l’amour, comme s’il agissait du premier. Quand j’ai lu le scénario, je ne savais pas encore que c’était Louise qui allait jouer Patricia, et je trouve que Louise apporte de la grâce à ce personnage. Il n’y a chez Patricia aucune sophistication, ce n’est pas une femme fatale mais une mère de famille qui cherche à tromper l’ennui que peut lui procurer sa nouvelle vie puisqu’elle vient de s’installer dans le Jura avec son époux, alors que c’est une citadine. Dans ce film, on ne juge aucun des personnages, ni Patricia, ni Noémie, ni même François, et c’est une des forces du récit je trouve. On se projette dans tous ces personnages, et on se dit plutôt « Oh les pauvres ! » que « Oh les monstres ! ». Le film joue sur tout un tas de paradoxes qui montrent que les issues sont bloquées, que les personnages sont coincés.
On sent vite en effet que cette histoire d’amour entre François et Patricia va virer au drame. Le poids de la fatalité dans ce récit, en avez-vous tenu compte dans votre manière d’aborder vos personnages ?
Louise Bourgoin : Oui, mais il fallait être débarrassé du tragique dans notre jeu. Mélanie et moi avons deux personnages qui évoluent en symétrie l’un par rapport à l’autre. J’étais d’ailleurs curieuse de savoir comment Mélanie appréhendait son personnage qui, lui aussi, échappe aux clichés et n’est jamais dans le pathos. Sur le papier, le personnage de Noémie avait quelque chose de très triste je trouve, et Mélanie lui a donné des couleurs inattendues, de l’humour, de la pugnacité aussi. Alors que moi, je pleure beaucoup dans le film !
Mélanie Doutey : Les destins des personnages sont imbriqués les uns dans les autres. J’ai été pour ma part très impressionnée par la maturité de Raphaël, sa connaissance des relations humaines m’a saisie. C’était notre guide sur le tournage, tournage qui a été joyeux mais aussi très concentré. On avait des situations assez lourdes à jouer, et un petit budget. L’argent, c’est aussi du temps, et là, les timing étaient serrés, mais Raphaël ne lâchait rien. On a pas mal travaillé en amont du tournage, on a fait des lectures. Il avait tellement son film en tête que c’était facile de suivre son rythme sur le plateau.
Quel partenaire de jeu est Jalil Lespert ?
Louise Bourgoin : Un partenaire idéal et très délicat. Nous avons des scènes assez torrides et il s’est toujours montré très respectueux. J’adore jouer avec des acteurs qui sont aussi réalisateurs, parce que je trouve qu’ils ont une humilité rare, qu’ils comprennent l’enjeu de la scène, qu’ils savent où se mettre. Je pense par exemple à Cédric Kahn ou Bouli Lanners avec qui j’ai eu la chance de tourner. Puis, pour l’anecdote, j’étais moi-même enceinte durant le tournage, et on a dû cacher cela dans la première partie du film, puisque la grossesse de mon personnage n’est pas tout de suite visible. C’était troublant, mais c’était intéressant comme expérience.
Mélanie Doutey : J’avais déjà tourné avec Jalil dans un film qui s’appelait Post Partum de Delphine Noels (sorti en 2013, NDLR) et qui parlait entre autre d’un infanticide, donc comme vous pouvez le constater, Jalil et moi inspirons vraiment quelque chose de comique aux metteurs en scène (rires) ! Je pense que nous sommes un peu de la même école de jeu, assez instinctifs, mais très travailleurs.
Quel sens donnez-vous au titre du film ?
Mélanie Doutey : Ce titre peut être compris de plusieurs manières, parce que François est un personnage hanté par différents démons. Il est à la tête d’une entreprise familiale, une scierie, mais déçoit ses proches par sa gestion de celle-ci, et cette entreprise, c’est son premier bébé. Ensuite, il veut un enfant, Noémie aussi, mais le couple a des difficultés à en avoir un naturellement. François rêve d’un garçon, d’un héritier qui pourrait reprendre les rennes de la scierie. Cet enfant qui n’existe pas encore, François projette tout sur lui, son amour, son futur. Il est à la fois un rêve gracieux et un rêve destructeur.
L’Enfant rêvé de Raphaël Jacoulot, en salles le 7 octobre 2020. Durée : 1H47. FRANCE.
Photo : Copyright Michaël Crotto / TS Productions