Une semaine, dix longs métrages en compétition, le remarquable Calamity de Rémi Chayé en séance Jeune Public, des avant-premières réjouissantes comme Un triomphe d’Emmanuel Courcol et un documentaire déchirant, C’est toi que j’attendais de Stéphanie Pillonca : la 7ème édition du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz nous a réservé bien des surprises. Du Bhoutan en passant par le Pays Basque ou encore le Sénégal, l’Algérie et l’Angleterre, nous avons voyagé masqués, en couleur et en noir et blanc, le cœur à la découverte toujours. Focus sur les films qui ont fait battre ce dernier.
Seize Printemps de Suzanne Lindon (hors-compétition)
Suzanne a 16 ans, porte des chemises blanches dont elle retrousse les manches jusqu’aux coudes, lit Boris Vian et boit des diabolo-grenadine. Les gens de son âge l’intéressent peu, mais ce comédien de 35 ans (parfait Arnaud Valois) dont elle a croisé le regard un matin en allant au lycée la trouble comme personne. Tout en délicatesse, ce premier film de Suzanne Lindon se dépose comme un baiser sur le front ou dans le cou. Comme un mot d’amour, pur et sincère. Ce qui saute aux yeux ? La grâce du filmage, la sensualité des corps, la force des détails, ceux qui donnent d’autres couleurs au quotidien, aux sentiments, mais aussi le talent d’actrice de Suzanne Lindon qui cultive sa ressemblance avec le personnage de Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée. Mais, comme chez Xavier Dolan par exemple, les références ne sont pas de simples coquetteries. Elles sont les fondations d’un imaginaire encore élastique et candide où le romantisme a encore droit de cité. Ici, les fantasmes sont doux, et on se rappelle ce que c’est d’avoir 16 ans, des désirs et des doutes, au son des chansons de Christophe. « C’était la dolce vita »… A.C
Le Père de Nafi de Mamadou Dia (en compétition)
Une quinte de toux entre deux appels à la prière. Tierno, l’imam du village, ne va pas bien. Homme modéré, bienveillant, il souhaite le meilleur pour sa fille unique Nafi. Mais son frère Ousmane avance ses pions, ceux d’un islam radical qui tente de faire main basse sur ce petit village sénégalais et sur les rêves de sa jeunesse. Nafi projette d’étudier les sciences à Dakar et d’épouser Tokara, son cousin et fils d’Ousmane, qui lui vit pour la danse. Premier long métrage du Sénégalais Mamadou Dia, Le Père de Nafi concentre les enjeux de la lutte sanguinaire entre islam modéré et islam radical dans un récit circonscrit au village et à la famille. Par ce prisme, éclate au grand jour la violence de ce combat qui transforme des frères en ennemis, des humains en bourreaux. Le film, d’une beauté et d’une intelligence renversantes, séduit par la force de son récit direct, brutal et poétique et l’incarnation magistrale de ses personnages. Le renouveau du cinéma d’Afrique sub-saharienne est en marche, un cinéma social, moderne et politique qui apporte au récit mondial une richesse indispensable. FFM
La Terre des hommes de Naël Marandin (en compétition, label Semaine de la Critique 2020)
C’est au sens propre comme au figuré qu’il faut entendre le titre du film. La terre des hommes, c’est à la fois celle que l’espèce humaine cultive, mais aussi la terre sur laquelle les hommes règnent en maîtres. Fille d’agriculteur, Constance, qui essaie de sauver de la faillite l’exploitation familiale, l’apprend à ses dépends. Le mépris des grands exploitants, elle y est confrontée quotidiennement. Alors quand l’un d’entre eux, Sylvain, influent et charismatique, lui tend la main, Constance retrouve un peu la foi. Mais sa confiance va vite être abusée, comme son corps et son esprit. D’emprise, de consentement, de violence, il est donc ici question, comme dans Slalom de Charlène Favier et De l’or pour les chiens d’Anna Cazenave Cambet. Naël Marandin fait le portrait d’une jeune femme qui se défend, et l’ancrage social du film apporte une dimension supplémentaire à son combat et sa dynamique universelle. Diane Rouxel est Constance, remarquable, comme toujours. Le feu dans ses yeux nous ravage, et sa détermination est partout, dans son travail, dans son couple (Finnegan Oldfield joue son jeune époux). Naël Marandin évite écueils et pathos, faisant récit d’un choc, d’un combat, que la justesse de la mise en scène soutient toujours et fait avancer vers la lumière (photo signée Noé Bach, talent décidément bluffant). A.C
Ammonite de Francis Lee (en compétition, label Sélection officielle Cannes 2020)
C’est le grand retour du réalisateur britannique Francis Lee qui nous avait fait chavirer, ici même à Saint-Jean-de-Luz, avec son premier long métrage, Seule la terre, parti auréolé du prix de la mise en scène et de celui du meilleur acteur pour l’étoile montante du cinéma anglais Josh O’Connor. C’est encore le sensoriel qui prime dans Ammonite mais cette fois-ci plus corseté, plus contraint. Côte sauvage de l’Angleterre, 1840. Mary Anning, ancienne paléontologue vit avec sa mère une existence modeste, elle creuse la terre sur la plage à la recherche d’ammonites destinées aux touristes. Elle prend en charge Charlotte, l’épouse convalescente d’un riche passionné, et à son contact, vit une passion qui brise tous les codes de l’époque. Kate Winslet (Mary) et Saoirse Ronan (Charlotte) sont éblouissantes dans cette histoire d’amour lesbien qui, même si elle peut rappeler Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, touche à des endroits inédits, passant une fois de plus chez Francis Lee par une expérience extrêmement sensuelle. FFM
Les Séminaristes d’Ivan Ostrochovsky (en compétition)
Ils s’appellent Juraj et Michal et étudient au séminaire pour porter, à leur tour, la bonne parole. Mais dans la Tchécoslovaquie des années 80, en pleine scission politique de l’Église face au régime communiste, ils vont devoir faire des choix dont les enjeux les dépassent et qui ne permettent aucune demi-mesure : se taire, trahir, se révolter ? Film radical au noir et blanc sublime et aux cadres d’une précision époustouflante, Les Séminaristes éparpille son récit façon puzzle. Le réalisateur Ivan Ostrochovsky se plait à perdre le spectateur, l’élevant vers une extase quasi religieuse face à la beauté pure de chacun des plans de ce film court et intense tout en l’exposant par flashs successifs à des éléments d’informations parcellaires qui le rappellent à une réalité bien plus concrète. L’utilisation des acteurs, tous extraordinaires, est phénoménale. Opposant les visages et les corps monstrueux, abîmés et vieillissantes incarnations des pouvoirs, à ceux encore purs et glabres de ces séminaristes au début de leur vie, elle imprime dans les chairs la violence politique au cœur du film. FFM
Slalom de Charlène Favier (en compétition, label Sélection officielle Cannes 2020)
Lyz a 15 ans, une mère un peu paumée en pleine crise de la quarantaine, et des facilités pour le ski. A Bourg-Saint-Maurice, elle intègre un enseignement professionnel en vue de devenir une véritable championne de ski alpin mais ce cursus l’isole, la fragilise et permet à son entraîneur Fred de mettre en place une emprise grandissante. Avec ce premier long métrage qui exploite la relation plus que toxique entre un entraîneur de ski et sa très jeune élève, Charlène Favier frappe fort et avec intelligence puisque la construction du récit et du point de vue sont à la fois d’une précision sans faille et évitent toute complaisance, excès ou caricature. Le film est direct, droit, mais n’ignore jamais les ambiguïtés, les troubles ou les zones grises de cette relation d’interdépendance malsaine qui se met en place au fil des événements. Slalom ne tombe jamais dans la noirceur attendue ou les travers du film sociétal, Charlène Favier intègre à sa vision l’environnement sublime et inquiétant des pistes enneigées, les moments grisants de la compétition sportive et les mots, rares, viennent à peine troubler le sentiment de gravité, cette chape de plomb qui amortit comme la neige les bruits, les sensations et les gestes qu’on n’oublie jamais. Les comédiens incarnent avec foi et délicatesse des partitions complexes que ce soit Jérémie Renier, séduisant et dangereux comme jamais en entraîneur criminel, la trop rare Marie Denarnaud qui interprète sa compagne pas dupe ou encore Muriel Combaud, éblouissante en mère larguée. Mais si le film réussit à être juste à chaque instant, il le doit beaucoup à Noée Abita. Après Ava, Le Grand bain ou Génèse, elle prouve une fois de plus qu’elle est l’une des comédiennes les plus douées de sa génération. Elle impose ici sous son apparente fragilité, une force impressionnante de rage contenue et son dernier mot, tel un acte libérateur donne au film un envol salvateur. FFM