Inconscient collectif
D’ordinaire, les scénarios des films de Toledano et Nakache sont originaux, inspirés du vécu des auteurs (Nos jours heureux), de leurs rencontres (Intouchables), de leurs constats sociaux et sentimentaux (Le sens de la fête, Hors-Normes). Depuis toujours, ils sont dans l’air du temps mais savent aussi le sentir. Pour la première fois, non seulement le duo passe par la case série, mais aussi par la case adaptation, en bonne et due forme. A sa diffusion en Israël en 2005, BeTipul, créée par Hagai Levi, Ori Sevan et Nir Bergman, fait un tabac. Une série pas comme les autres, une première saison forte d’une quarantaine d’épisodes, et un concept solide (totalement exportable) : un cabinet de psy, un divan et cinq patients qui, chaque semaine, s’y assoient ou s’y allongent. Ça n’a rien d’un blockbuster, sauf que c’est aussi efficace qu’un thriller. Bingo, les Américains s’y intéressent et HBO diffuse en 2008 In treatment (avec le divin Gabriel Byrne dans le rôle du psy). Même dramaturgie, même typologie de personnages, mais ce sont évidement les observations sociétales et culturelles qui changent – et que peuvent alors Freud et Lacan ? Dans la version israélienne, Lior Ashkenazi interprète un agent du Mossad, dans la version américaine, Blair Underwood joue un soldat revenu d’Irak. Des ajustements qui redéfinissent l’origine des maux de chacun. Dans la version française, tout commence quelques jours après les attentats du Bataclan. Ariane, chirurgienne, a passé 48h en enfer, Adel, agent de la BRI, était sur le terrain, Camille, jeune championne de natation, est dans le brouillard total, quant à Léonora et Damien, ils sont au bord de la rupture, se terrorisant l’un et l’autre. Rien ne va plus. Pas même Philippe (le psy) dont les résistances pètent les unes après les autres. Sur les pots, il n’y a plus de couvercle. N’allez donc pas chercher ici la série feel-good de l’année. Non pas qu’elle manque d’esprit ou de mordant mais son registre est naturellement grave. Grave, jamais sinistre cependant. Le cœur cogne fort, la gorge se noue. Toledano, Nakache et leurs co-auteurs David Elkaïm, Vincent Pymiro, Pauline Guena, Alexandre Manneville et Nacim Mehtar ont taillé situations et sentiments à l’os. L’un des points forts d’En thérapie, c’est en effet son écriture. Car les mots ici sont essentiels. Ils sont moteurs de l’action, vecteurs de toutes les réactions, des plus surprenantes aux plus prévisibles. La mise en scène ne repose pas seulement sur un champ/contre-champ pour les contenir. Les échanges sont plus dynamiques, et comme au tennis, les balles rebondissent ou se heurtent au filet. Du dérapage, des accidents, des digressions, des rires, des larmes, des lapsus, une langue de bœuf (oui), il y en a. Le talent des comédiens et comédiennes rend évidemment l’expérience encore plus puissante. On savait Frédéric Pierrot grand acteur. Ici, il est immense. Car le rôle qu’il tient n’est pas sans difficulté. Ce qu’il lui commande, c’est d’être à l’écoute et de savoir garder une certaine neutralité (même s’il est impossible de toujours tenir le masque). Envisager et dévisager ce psy devient alors un exercice vertigineux. Il ne note rien, son regard ne glisse pas, son attention est dédiée à ses patients. Le cadre prend alors toute son importance, la distance de la caméra par rapport aux visages qu’elle cerne. Les réalisateurs, Nakache, Toledano, mais aussi Salvadori, Pariser et Vadepied, en ont pris la mesure. Découpage, montage, tout est au cordeau dans cette série à la fois exigeante et bouleversante. Exigeante parce qu’elle réclame notre attention à nous aussi, bouleversante parce qu’elle montre des femmes et des hommes complètement paumés. En défaite, en boucle, emmurés. On ne peut pas s’empêcher de penser à ce qu’on vit actuellement, de la libération de la parole (#metoo), qui doit aller de pair avec une amélioration de l’écoute de la société dans sa globalité, à la fragilité psychologique dans laquelle nous nous trouvons en ces temps de pandémie (dans quel état mental sortirons-nous de tout ça ?). En thérapie secoue très fort. Comme Camille (merveilleuse Céleste Brunnquell) avec son analyste, nous faisons un pacte avec la série : aller au bout de la thérapie pour chercher une issue qui ne soit pas fatale. Quelle rôle pour la psychanalyse aujourd’hui face à nos souffrances ? C’est la question qu’on se pose en regardant ces 35 épisodes et leur constellation de névroses. En Israël, à la suite de la diffusion de la série, la fréquentation des cabinets de psy a fait un bond, le tarif de certains praticiens aussi. Mais au delà de l’anecdote amusante, elle témoigne d’un fait bien réel : qu’un travail par et sur la parole, s’il ne fait pas que du bien, ne fait sûrement pas de mal. On respire, on allume la télé, et dès le 4 février sur Arte, on s’allonge sur son canapé et on écoute les voix qui s’élèvent.
En thérapie, co-écrit et co-réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache. Avec Frédéric Pierrot, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Pio Marmai, Clémence Poésy, Carole Bouquet … Durée : 35 x 26 minutes. Diffusée sur Arte dès le 4 février 2021 et disponible en intégralité sur le site d’Arte dès le 28 janvier 2021. Crédit photo : Carole Bethuel / Les Films du Poisson.