Avec sa première série en tant que réalisatrice, Emma de Caunes vise juste. Neuf meufs, ce sont neuf épisodes qui racontent les désirs de neuf femmes d’aujourd’hui. Elles s’appellent Sylvia, Charlie ou Lola, elle sont dragueuses, paumées ou amoureuses, filles ou mères, et chacune d’entre elles est au cœur d’un épisode d’une dizaine de minutes. Ces petites tranches de vie modernes diffusées sur Canal+ sont finement écrites et mises en scène et se répondent au sein de ce grand tout figuré par un immeuble parisien. Avec cette série, Emma de Caunes offre une palette de désirs singuliers, de portraits sensibles. FrenchMania l’a rencontrée pour évoquer son parcours et ses envies de réalisatrice ainsi que le tournage de la série.
Quand est arrivée chez vous l’envie d’être réalisatrice ?
Emma de Caunes : C’est arrivé très tôt ! Quand j’étais enfant, ma mère vivait avec Claude Ventura qui faisait l’extraordinaire émission Cinéma, Cinémas, le générique était d’ailleurs fait par Guy Pellaert et ma mère. Les couloirs de la société de production et les salles de montage, c’était là que je faisais mes devoirs et que je découvrais des rushes d’interview de Ben Gazzara, de la femme de John Fante ou de Gena Rowlands. Je me souviens encore de l’odeur de la colle, des films, des presses, j’ai vraiment grandi là-dedans. J’ai commencé à écrire des scénarios avec Avril, la fille de Ventura, quand on avait 7 ou 8 ans. Tout le monde jouait dedans et Claude les tournait et les montait sans changer une virgule, malgré les fautes de français et nos sources d’inspirations qui allaient des Rapetou (personnages Disney présents dans Picsou Magazine, NDLR) aux polars vus en VHS. Après je mettais en scène des spectacles, je me déguisais avec mes potes, cela a toujours été un peu dans mon ADN. Au lycée j’étais en A3 cinéma, cette fameuse section qui ne doit pas disparaître ! J’avais neuf heures de cinéma par semaine avec des profs géniaux et passionnés qui nous faisaient lire Deleuze, nous parlaient de Bazin et nous emmenaient à L’Épée de bois voir des rétrospectives de Rossellini, c’était dément. On étudiait l’écriture de scénario, l’analyse de films et, pour le bac, il fallait faire un court métrage. J’avais tourné un petit film avec ma grand-mère et José Garcia qui était chauffeur de salles de Nulle Part ailleurs à l’époque et qui me faisait déjà beaucoup rire. Cela s’appelait Pas très cathodique, j’ai eu 14/20 au bac et j’étais très fière ! J’ai ensuite réalisé un premier court de façon plus pro, il y a un peu plus de vingt ans. Il s’appelait Le Nombril de l’univers. C’était en 1998, j’avais 22 ans et j’avais adapté une nouvelle de Jacques Dor pour la tourner en pellicule avec des chutes données par un copain et une vraie équipe.
En fait, c’est le métier auquel vous vous destiniez plus qu’à celui de comédienne ?
Emma de Caunes : C’est un peu ça, même si j’ai joué très jeune. Enfant, j’étais aux côtés de Lambert Wilson dans un court métrage qui s’appelait Margot et le voleur d’enfants ou dans La Comète d’Adèle, un film d’Antoine Garceau qui est aujourd’hui l’un des réalisateurs de la série Dix pour cent. J’aimais jouer, ça me plaisait bien. Et, en même temps que je passais mon bac, j’ai été repérée par une directrice de casting sauvage à la sortie du bahut et là, j’ai commencé à faire des pubs pour Crunch, Dim, etc. C’est grâce à ses pubs que j’ai été repérée par des metteurs en scène de cinéma et notamment par Olivier Jahan (avec qui elle tourne deux courts puis, en 2000, Faites comme si je n’étais pas là aux côtés de Jérémie Renier qu’elle retrouvera en 2015 pour Les Châteaux de sable et sa suite, Claire Andrieux, diffusée en octobre dernier sur Arte, NDLR). De fil en aiguille, on m’a proposé des rôles, souvent pas très éloignés de ce que j’étais dans la vie, cela m’amusait et je gagnais ma vie mais la mise en scène était vraiment mon but. Cela a mis beaucoup de temps. Il y a des films que j’ai écrits et que je devais tourner mais qui se sont cassés la gueule. Des mésaventures qui ne m’ont jamais découragée. Je recevais plein de scénarios avec des propositions de personnages féminins pas intéressants, des faire-valoir, des “femmes de” ou des punkettes en colère pour lesquelles j’avais un peu passé l’âge. Et moi, j’adore les actrices, j’aime les regarder, j’ai envie de les filmer et de parler d’émotions pas souvent représentées. On a écrit ces Neuf meufs pour le cinéma avec Diastème mais cela ne s’est pas fait. J’en ai eu marre j’ai pris une des histoires, ma fille et Agnès (Mademoiselle Agnès, NDLR) et je l’ai tournée sous forme de court métrage. J’avais tourné une petite pub avec Agnès pour Damart et je savais qu’elle avait un vrai potentiel d’actrice. Je l’ai auto-produit, tourné avec une petite équipe dans l’appart de mon frère qui déménageait en un jour et demi. Une fois monté et projeté, Arielle Saracco de Canal+ a lu le reste et nous a proposé d’en faire en série.
Comment s’est organisé le tournage ?
Emma de Caunes : On a eu seize jours de tournage pour tourner les huit histoires restantes. Je me suis sentie à ma place. J’adore le travail d’équipe, le travail de préparation, et comme cela faisait longtemps que je travaillais sur ce projet, j’avais des moodboards en veux-tu en voilà ! J’ai eu une équipe de rêve capable de trouver des solutions en un temps record. J’avais l’impression d’être avec des gens qui exauçaient mes rêves. Et la direction d’acteurs, c’était la cerise sur le gâteau. J’avais demandé, sachant qu’on avait très peu de temps, à ce qu’on ait une journée de répétition pour chacune des histoires car je sais, en tant qu’actrice, que répéter c’est génial pour poser toutes les questions. Cela permet d’essayer des choses sur le plateau. J’ai passé mes journées à rire et à pleurer devant mon combo, bouleversée par mes acteurs ! J’aurais aimé avoir un peu plus de temps mais on s’en est pas mal tirés. On a livré les neuf épisodes et un unitaire de 90 minutes avec quelques transitions supplémentaires et je suis heureuse qu’on ait pu parler du désir féminin sous toutes ses formes. Il y a un peu de moi dans chacune des neuf meufs.
Cette expérience a-t-elle renforcé l’envie d’aller plus loin, de continuer dans cette voie ?
Emma de Caunes : On m’a donné ma chance et j’ai l’impression que la série est plutôt bien accueillie donc, maintenant, je ne lâche plus le morceau. Moi j’aimerais faire Neuf keums, on est en discussion pour l’instant. Parler du désir masculin, c’est peut-être un peu plus complexe pour moi mais c’est hyper excitant. On va se remettre à écrire avec Diastème. J’avais aussi écrit le scénario d’un film pour Chabat, Papa Was a Rolling Stone, qui ne s’est jamais fait et je l’ai relu. Il y a plein de choses que j’adore dedans et ce projet me tient beaucoup à cœur parce qu’il est un peu autobiographique sur la relation entre une fille et son père et la célébrité. C’est de l’humour un peu dark, à l’anglo-saxonne. J’ai d’ailleurs très envie de voir le film de Laurent Lafitte parce que j’avais adoré son one-man-show et que je me sens proche de son style d’humour. Et puis j’ai aussi écrit un film sur une nana qui se prend pour une super héroïne, une comédie familiale comme on dit.