Il vit à Londres après quelques années en France et à New York, il dirige une revue, a réalisé deux courts métrages et travaille sur de nombreux projets. Dans le premier film de Mamadou Dia, c’est lui le Père de Nafi, Alassane Sy incarne Tierno, un imam diminué par la maladie mais dont la droiture ne vacille jamais, même quand son frère Ousmane cherche à répandre une terreur sourde dans la ville. Pour FrenchMania, Alassane Sy se souvient du tournage et parle de ses projets, du renouveau du cinéma sénégalais et de l’importance de se réapproprier l’histoire de son propre pays.
Comment vous êtes-vous embarqué dans l’aventure de ce premier long métrage ?
Alassane Sy : J’ai rencontré Mamadou Dia en 2016 dans un festival de films africains à New York dans lequel nos courts métrages étaient sélectionnés.On a passé toutes les nuits à beaucoup discuter, je le trouvais très courtois. On est restés connectés mais il ne m’avait jamais parlé du projet. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il m’a finalement proposé le rôle. Il ne voulait pas m’en parler tant qu’il n’était pas complètement sûr de pouvoir tourner le film. J’ai dit oui tout de suite parce que je connaissais la personne et que ce dont il parlait m’intéressait beaucoup, cela me ramenait à la source. Cela me ramenait à mes origines, à ces territoires de ceux qui parlent la langue peul.
Comment avez-vous endossé ce personnage d’imam, sa sagesse, sa droiture ?
Alassane Sy : J’avoue qu’au début, quand Mamadou m’a parlé d’un personnage d’imam, je me suis interrogé. Je ne me voyais pas du tout dans la peau d’un imam mais il a su me faire confiance pour comprendre cette histoire et y apporter quelque chose de moi. L’environnement, cette culture musulmane qui m’est familière, cela m’a beaucoup aidé aussi, et puis j’étais en confiance donc j’ai pu lâcher prise. Mais, pour être franc, cela ne m’a jamais traversé l’esprit qu’un jour je pourrais jouer un imam ! Cela correspond un peu à l’image des prêtres ici il y a de nombreuses années, une figure traditionnelle. Le défi était intéressant. Pour moi, il y a quelque chose de mystérieux autour de sa maladie dont on pourrait croire qu’elle se réveille quand son frère est de retour. Je l’imagine comme un imam des endroits d’où je viens, l’islam y a une autre forme, c’est un véritable islam à la sénégalaise. De nombreuses figures fortes ont dessiné cet islam comme Ahmadou Bamba, le fondateur du mouridisme, ou quelques autres, qui ont utilisé la religion comme un moyen de résistance contre la colonisation. Au lieu d’utiliser les armes, ils ont préféré repenser l’islam et le transformer et son combat a réussi puisque c’est devenu la plus grande confrérie au Sénégal. Des personnages comme lui ont su reformuler le message de l’islam pour l’adapter à la société : on le voit dans le personnage de Tierno, il est imam mais il a des gri-gri, ce qui aurait normalement été incompatible. Cela montre que la culture est plus puissante que la religion. Ce que tu es depuis des siècles, cela restera toujours ancré.
Ces deux jeunes qui s’aiment en secret, cela vous a rappelé des expériences vécues, observées ?
Alassane Sy : Ce sont des jeunes mais les adultes vivent de la même façon dans des sociétés où la religion domine, ce sont des vies en cachette. Cela joue beaucoup dans la mentalité des gens même ne grandissant, ce sont des réflexes culturels. Tout Sénégalais l’a vécu d’une manière ou d’une autre, après, tout dépend du temps qu’il faut à chacun pour s’en détacher ou pas. Apparemment cela a parlé aux spectateurs, le film a tourné au Sénégal et a eu un bon écho. Mamadou en avait assez de toujours devoir expliquer aux gens que l’islam, ce n’est pas partout pareil, le film le fait très bien. Appréhender ces approches différentes de l’Islam, c’est enrichissant et cela permet de comprendre sa complexité par les émotions. C’est complètement d’actualité et c’est universel.
Le cinéma d’Afrique sub-saharienne et plus particulièrement sénégalais semble vivre une nouvelle ère. Quel est votre regard sur ces dernières années ?
Alassane Sy : Il y eu un trou pendant quelques années mais, heureusement, certains ont eu le courage de ralentir leur propre carrière pour aider les autres comme Alain Gomis. C’est important d’aider les gens à raconter leurs histoires à leur manière surtout dans un environnement dans lequel le cinéma est le dernier des soucis de l’État. Il y avait des bases avec des cinéastes comme Ousmane Sembène ou Djibril Diop, et ces gens-là ont fait le boulot à leur époque. Et il y a eu un État qui donnait plus d’importance à l’art parce que notre premier président Léopold Sédar Senghor était un artiste ! Je pense que le renouveau vient de la créativité des Sénégalais, des réalisateurs ont émergé mais n’ont fait qu’un ou deux films en 10 ou 20 ans… Mamadou Dia est un exemple parfait, il n’a pas attendu que le film soit financé pour se lancer.
Justement quelles ont été les conditions de tournage du Père de Nafi ?
Alassane Sy : Le tournage a duré un mois dans un village où tout le monde était partant pour nos aider. Les habitants n’avaient jamais assisté à un tournage. Au bout de quelques jours, ils étaient quand même un peu déçus parce qu’ils s’attendaient à de l’action ! Mais ils nous ont laissés accéder à tout ce qu’ils avaient, c’était très agréable.
Vous avez déjà réalisé deux courts métrages, quels sont vos projets ?
Alassane Sy : Comme acteur, il y a certaines choses qui sont en cours mais je ne peux pas trop en parler pour l’instant. Je développe mon premier long métrage et, parallèlement deux séries sur l’histoire pré-coloniale du Sénégal, mais je ne fais pas ça tout seul, je n’écris pas seul. Je travaille avec une productrice anglaise sur le long métrage. Pour la série je suis dans un travail de développement avec des scénaristes sud-africains que j’ai rencontrés au festival de Carthage il y a 6 ans et j’ai fait énormément de recherche qui m’a donné envie d’écrire un autre projet en parallèle pour lequel je cherche encore des producteurs. Ces projets me tiennent à cœur parce que ce sont des choses importantes sur l’Afrique que je veux raconter au monde, raconter que l’Afrique n’existe pas seulement depuis la colonisation, qu’elle a eu une histoire avant. Interroger la responsabilité de chacun sur la naissance de l’esclavage par exemple, c’est un vrai sujet ! Il est temps de reprendre en mains ce récit pré-colonial.et il y a des milliers d’histoires à raconter, c’est aussi une façon de retrouver la paix entre les gens. Nous devons prendre nos responsabilités, évoquer nos périodes glorieuses et l’origine du déclin.