Tout a commencé mardi 6 juillet avec Annette, comédie musicale de Leos Carax. Depuis, nous passons nos journées dans les salles obscures, contents de découvrir les films du cru cannois 2021. Voici nos premières impressions et nos premiers coups de coeur. Journal de bord, épisode 1.
Le genou d’Ahed de Nadav Lapid (Compétition officielle)
Regarde les hommes tomber
Comme Julia Ducournau et Hafsia Herzi (présentes cette année à Cannes), Nadav Lapid a été une des révélations de la Semaine de la Critique (L’Institutrice, 2014). Sept ans plus tard, voilà le réalisateur en compétition officielle avec Le Genou d’Ahed, un film expérimental, frappé et âpre. “Tout ce que vous allez voir est vrai (…), c’est le style qui m’intéresse” dit le personnage d’Y (Avshalom Pollak, phénoménal), cinéaste mal rasé et luné venu présenter son film dans un village perdu en plein désert. Le miroir est alors tendu. Sa caméra, Nadav Lapid joue avec comme un enfant jouerait avec un avion en papier dans ses mains, il la fait voler, il la retourne, il la soupèse. La tête en l’air, les pieds sur terre, en avant, en arrière, on part dans tous les sens sans jamais perdre cependant la ligne d’horizon. C’est au son d’une moto qui fuse que le film démarre, mais il cultive d’autres bruits, de gorge, de bouche par exemple. Un râle qui dit la rage et le désespoir du protagoniste, en guerre contre son propre pays, Israël, terre sèche, infertile, malade. Les mots étaient déjà durs dans Synonymes, son précédent film, Ours d’or de la Berlinale 2019, ici, Lapid frappe encore plus fort, et c’est sonné que l’on sort de la salle, comme après un match de boxe. Mais le film n’est pas que coups et blessures. Certes, il est d’une rare noirceur, mais il est aussi gonflé de tendresse et d’amour, il a de la suavité, comme on en trouve dans la voix de Vanessa Paradis qui chante dans les oreilles du héros “Be My Baby”. Avant de devenir cinéaste, Y a été soldat, comme tous les autres. Un soldat de plomb, un buffle, un mufle. Un modèle de virilité telle que l’armée en fabrique à la chaîne. Une bête qui obéit et se soumet aux ordres (toxiques) qu’on lui donne. C’est ce carcan que Lapid (comme son personnage) fait péter par la force du cinéma. Pour l’amour d’une mère aussi, qui n’est plus la Patrie. Féroce, implacable et bouleversant. A.C
En salles le 15 septembre 2021.
Robuste de Constance Meyer (Semaine de la Critique)
A bras le corps
Les corps existent beaucoup dans le cadre de Robuste, premier film signé Constance Meyer, qui a ouvert hier soir la 60ème Semaine de la Critique. Il commence par celui de Gérard Depardieu, roulant sur la chaussée après un accident de moto. Dans un rôle où on sent à peine la composition, il incarne Georges, monstre plus-si-sacré du cinéma, vivant seul dans un grand appartement. Incapable de mettre de l’ordre sa vie (sa maison est un fouillis mais il commande des poissons-lanternes, parce que pourquoi pas) – toute la gestion repose sur son garde du corps – un travail aussi concret qu’il est une métaphore. C’est aussi par ce biais-là qu’entre en scène Aïssa, incarnée par Déborah Lukumuena (Divines) : par son corps, en sueur et accroupi, en pleine séance de lutte. Imposante et athlétique, Aïssa aime son travail d’agente de sécurité. Même quand il implique de manœuvrer la tornade Georges : « moi j’aime bien emmerder les gens » lui lâche-t-il d’un air satisfait, tandis que le public rigole, pris entre fiction et réalité. On aurait tort pourtant de penser que Robuste est un faux docu sur Gégé, grattant la carapace du mâle bourru pour en laisser voir les failles. S’il a ses parts d’ombre, Aïssa est la lumière. Robuste est surtout l’histoire d’une rencontre improbable. Entre cet homme imposant et inconstant, et cette fille aussi costaude que douce. Deux solitudes qui se prennent à bras-le-corps, l’espace d’un instant. Un joli film, aussi rugueux que tendre sur ce qu’il raconte de nos intimités. E.M
Prochainement en salles.
Onoda de Arthur Harari (Un Certain regard)
Dans la jungle
La fin de la guerre est proche, le Japon s’apprête à capituler. Un soldat est pourtant envoyé en mission sur une île des Philippines, avec une poignée d’hommes sous ses ordres, pour chasser les américains qui y débarqueraient. Commence alors l’opération, en plein coeur de la jungle. Un jeu de cache-cache, fusil au poing, contre des ennemis sans visage. C’est un film fou que Harari signe et qui emprunte à la fois au film d’aventure, au film de guerre, au film de fantôme et de samouraï. Les dimensions épique et mystique se rencontrent et évoquent par endroit le cinéma de Herzog et de Weerasethakul. Ce sont 10.000 nuits que l’on passe avec le héros, en immersion dans cette jungle humide, glaciale, dantesque, et la mise en scène (photo sublime) comme le jeu des acteurs, nous mettent le frisson. Impressionnant du premier au dernier plan, Onoda a de la rigueur, de la poésie et de la fougue. C’est un sacré voyage dans l’espace et le temps que nous propose de faire Harari, nous mettant ainsi au contact d’un homme à la tête et à la volonté dures comme du fer. Un homme à qui l’on a confié une mission et qui ne se reposera quand lorsque son supérieur lui en aura donné la permission. Un film sur l’honneur et son code. D’une force et d’une beauté incroyables. A.C
En salles le 21 juillet 2021.