The French Dispatch de Wes Anderson (Compétition officielle)
Excuse my French
Par où commencer pour raconter le nouveau film de Wes Anderson ? Trois ans après L’Île aux chiens présenté à Berlin, le plus francophile des cinéastes américains contemporains revient avec une œuvre aussi difficile à décrire qu’à classer. Dans The French Dispatch, situé dans la ville d’Angoulême, renommée pour l’occasion Ennui-Sur-Blasé, on croise pêle-mêle des peintres prisonniers (Benicio del Toro), des muses matonnes (Léa Seydoux) des étudiant-es révoltés (Lyna Khoudri, Timothée Chalamet), un directeur de prison amateur de bonne bouffe (Mathieu Amalric) … mais aussi, et surtout, des journalistes bavards, curieux et solitaires (Owen Wilson, Frances McDormand, Roebuck Wright Tilda Swinton). Car The French Dispatch n’est pas seulement le titre du film, c’est aussi celui du journal d’Ennui-sur-Blasé, sorte de New York Times local tenu par des gratte-papiers américains expatriés – avec à sa tête Arthur Howitzer Jr. (Bill Murray). A la manière de La Famille Tenenbaum, qui s’ouvrait sur un quatrième de couverture, on entre dans le film par la littérature ; chaque section du magazine (les arts, le tourisme, la cuisine) correspond à un chapitre du film. Plusieurs histoires en une se retrouvent ainsi imbriquées, et mieux vaut ne pas cligner des yeux car un détail pourrait vous échapper : comme le train du Darjeeling Limited, le film avance à un rythme soutenu – pour ne pas dire effréné. Anderson ouvre un chapitre, le décor prend possession du cadre, la voix off se lance dans les présentations, part sur une digression tandis que les flash-backs et le présent se chevauchent dans la narration. Le Français et l’Anglais se mélangent dans la bouche des personnages aussi vite que les plans (et les sous-titres stylisés) s’enchaînent sur l’écran. Fidèle à ses manies, Anderson fignole chaque détail de ses plans, tableaux vivants à la géographie rigoureusement millimétrée, de la couleur d’un papier-peint au rythme d’une phrase en passant par le nom délicieusement frenchy des lieux et des objets (le café s’appelle Le Sans Blague, les cigarettes sont des Gaullistes, etc). Condensé suprême de toutes les obsessions de son réalisateur, The French Dispatch est un œuvre d’art totale, un hommage à la culture française et sa cinéphilie (visuellement le film rappelle de façon frappante ceux de Tati), mais aussi aux autres arts (peinture, sculpture, animation, bande dessinée, gastronomie, tout y est). Si cette superbe et impressionnante surenchère nous a conquis par sa forme, on regrette cependant une absence de fond, qui laisse peu de place pour se laisser gagner par l’émotion. Celle-ci jaillit dans les moments où le récit suspend sa trajectoire folle l’espace de quelques instants : une prostituée (Saoirse Ronan) qui chante à la claire fontaine à un enfant kidnappé, quand les journalistes solitaires décident d’écrire une certaine nécrologie collectivement. La solitude de l’âge adulte et le désenchantement des enfants sont tapis dans l’ombre, mais restent encore présents. Thank you beaucoup. E.M.