Je ne pense pas que les filles d’aujourd’hui soient plus vaches qu’à notre époque – Lila Pinell
La comédie qui pique de la fin de rentrée, c’est Kiss & Cry. Présenté à l’ACID lors de l’édition 2017 du Festival de Cannes, ce long métrage à cheval entre fiction et réalité fait le portrait d’une adolescente de 15 ans en rupture avec son quotidien, le patin à glace qu’elle pratique au plus haut niveau. Succès, revers de médailles, entrainements draconiens, rivales revêches. La vie est dure. A l’occasion de la sortie du film le 20 septembre prochain, FrenchMania s’est entretenu avec les deux réalisatrices, Lila Pinell et Chloé Mahieu.
L’adolescence semble être un thème récurrent dans votre filmographie, mais qu’est-ce qui a déterminé le choix du cadre – le patinage artistique ici – dans lequel vous traitez du sujet, et de la ville, Colmar ?
Lila Pinell : J’ai fait du patinage quand j’étais enfant. Je devais avoir 8 ou 9 ans et je n’étais pas très douée, mais j’étais admirative des filles de mon club qui patinaient bien. Je me disais : elles sont trop belles, elles patinent bien, elles ont de la chance ! Et puis on avait été marquées avec Chloé par l’histoire de Nancy Kerrigan et Tonya Harding, deux patineuses américaines des années 90. L’une avait commandité l’agression de la seconde pour la battre aux JO, la méchante Tonya contre la belle Nancy, mais c’est finalement Nancy qui avait gagné, tandis que Tonya avait dû patiner sous les sifflets du public. C’était pendant les JO de Lillehammer en 1994. Cet univers impitoyable, de paillettes et de princesses en surface, régit par une rigueur, une discipline et une rivalité terrible nous a donné envie d’y tourner un film. On a rencontré plusieurs entraineurs et on a jeté notre dévolu sur Xavier. Quand on l’a rencontré en 2012, il venait de gagner le prix du meilleur jeune entraineur. C’est lui qui a orienté notre choix sur Colmar, sa ville.
Chloé Mahieu : Si on m’offrait la possibilité de revenir en arrière, pour rien au monde je ne souhaiterais revivre mon adolescence, c’est sans doute pour cela que cette période me fascine tant, un mélange de sensations fortes, d’angoisses, de frayeurs : le sas entre l’enfance et l’âge adulte, le temps violent de l’affirmation de soi. Nous souhaitions observer cet âge à la loupe, dans un contexte fort et refermé, afin que les désirs et les rapports de forces soient plus fulgurants. La compétition sportive de haut niveau nous apparaissait comme un sujet intéressant, où les rivalités seraient exacerbées. Lila avait fait du patinage en loisir enfant, et cette discipline nous a conquises. La dureté du sport, de la glace, venant s’opposer à la féerie des paillettes, offraient un cadre cinématographique idéal selon nous. Colmar, c’est dans notre film le nom de l’équipe, la désignation du Club; les filles n’ont quasiment pas le loisir de profiter de la ville. Pour beaucoup de parents de championnes, c’est un lieu de sacrifices: ils ont du déménager, changer de travail, pour permettre à leurs enfants de continuer le patinage, entrer dans ce club renommé qu’est Colmar.
Comment avez-vous rencontré Xavier Dias qui joue cet entraineur aussi drôle que tyrannique ? Comment avez-vous abordé ce personnage ?
L.P : On a d’abord fait un court métrage avec le club de Colmar avant de tourner le long. Au départ, on devait tourner un stage d’été dans une autre patinoire mais au dernier moment ça n’a pas pu se faire, on a dû trouver un autre club quelques jours avant le début du tournage. On a appelé tous les entraineurs qui s’apprêtaient à partir en stage d’été. Xavier nous a répondu, il était partant et enthousiaste, ses élèves aussi. Pour Kiss & Cry, nous lui avons demandé de jouer le méchant du film, de condenser tout ce qu’il avait de pire, pour faire naître rapidement chez notre héroïne un sentiment de révolte. Il aime beaucoup jouer la comédie et a tout de suite accepté.
C.M : Xavier apparaît dans Boucle Piqué comme un entraîneur impitoyable, à l’humour ravageur, particulièrement inventif dans la vanne. Après ce court-métrage, nous avions en tête de refaire un film, une fiction, avec les mêmes protagonistes. Nous sommes restées en contact avec Xavier, plusieurs filles du club, Sarah Bramms en particulier. Ils ont accepté le scénario que nous leur proposions, librement inspiré de leur parcours, et Xavier a tout de suite accepté de jouer le rôle du méchant. Mais nous cherchions également à aborder la fragilité du personnage, sa passion, sans pour autant le sauver. C’est dans cette intention que nous avons imaginé son rêve bleu.
Quelle a été la place accordée à l’improvisation ?
L.P : Le film est entièrement improvisé. Les scènes étaient écrites mais les acteurs devaient y arriver par leur propres moyens, en suivant nos indications. Le tournage a duré 5 semaines étalées sur 8 mois. Nous avons donc dû modifier le scénario en fonction des blessures des filles, qui sont toutes de réelles patineuses.
C.M : Nous avions écrit ces séquences avec des intentions de dialogues, mais nous voulions que les protagonistes s’en saisissent, s’expriment et agissent devant la caméra avec ce qu’elles sont, qu’elles parlent avec leurs mots, réagissent à leur manière. Nous décomposions chaque scène, et vis-vis de chaque situation, nous préparions les acteurs : “là il t’arrive ça, si pour de vrai tu te retrouvais dans cette situation, tu ferais, dirais quoi ?”, et nous avancions avec ce que nous avions prévu et ce qui venait nous surprendre dans les scènes.
Entre elles, les filles sont souvent cruelles, et l’enjeu compétitif renforce les tensions. Les adolescentes d’aujourd’hui sont-elles moins solidaires que leurs aînées selon vous ? Plus vaches ? Les humiliations qu’elles se font subir via les réseaux sociaux sont d’une bassesse infinie…
L.P : Je ne pense pas que les filles d’aujourd’hui soient plus vaches qu’à notre époque. Dans mon souvenir au collège, on n’était pas des tendres… mais les réseaux sociaux, Facebook, Snapchat et autres, amplifient les tensions. Avant, on se disputait ou on s’insultait dans un coin, au pire on se donnait en spectacle dans la cour de récré, mais aujourd’hui tout peut être vu par tout le monde. Ça doit être très angoissant. Quand j’étais ado, je me souviens avoir fait des photos avec une copine dans lesquelles on se prenait seins nus, on voulait faire des photos hyper classes comme dans une expo qu’on avait vu avec l’école, et quand on est allées les faire développer, on a eu honte. Elles étaient limite porno avec le flash … À l’époque il n’y avait aucune conséquence, on les déchirait et puis c’est tout. Aujourd’hui les jeunes ne peuvent pas être aussi légers qu’on l’était.
C.M : Ce qu’il y a de particulier dans le patinage artistique c’est que les athlètes sont entraînés en groupe, mais c’est un sport individuel, donc les filles que nous avons filmées sont en compétition les unes contre les autres et l’entraîneur excite cette rivalité sur la glace pour leur donner la rage de gagner. Les parents aussi sont très jaloux les uns des autres, pour des histoires aberrantes parfois : la couleur d’une tunique copiée, le choix d’une musique, l’entraîneur qui s’occupe plus d’un élève que d’un autre.. Et l’épuisement dû à un emploi du temps très lourd n’arrange rien à ces tensions. Mais observer cette rivalité nous intéressait aussi parce qu’elle n’est pas si exceptionnelle, on la retrouve partout et pas uniquement dans le sport de haut niveau. Elles nous renvoient à notre propre agressivité. Je ne pense pas que les ados soient moins solidaires et plus violents aujourd’hui. Nous avons écrit dans ce film beaucoup de nos propres souvenirs avec Lila, en les modernisant. Ce qui change se sont les outils de communication, qui sont des armes bien plus tranchantes que les bouts de papier, les mots dans l’agenda, ou les rumeurs qui passent de bouche à oreille, de notre époque. Les bassesses, les humiliations, les pulsions agressives, sont les mêmes. Elles s’expriment plus et vont plus loin sur internet car il y a une ivresse du manque de limites. Elles sont vécues dans l’immédiat de façon terrible, dramatique, et la semaine suivante, on oublie, on se rabiboche, on invente autre chose, sympa ou cruel. Peut-être que je me trompe mais j’ai le sentiment que les jeunes d’aujourd’hui vivent très intensément ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et passent à autre chose assez vite, comme nous le faisions avec d’autres moyens dans les années 90. Ce sont les parents qui, selon moi, sont très effrayés par ces modes de communications auxquels ils s’adaptent avec plus de difficulté.
Quels ont été pour vous les plus gros défis pendant le tournage ? Les scènes les plus complexes à tourner ?
L.P : Les scènes les plus compliquées à tourner ont été les entrainements de Sarah. Sarah avait arrêté le patin avant le tournage, et plus les mois passaient, moins elle patinait. Nous, on voulait faire croire qu’elle était championne et qu’elle se démotivait peu à peu, mais du coup on a dû un peu changer le scénario pour la montrer tout de suite démotivée ! Sinon le défi, c’était pour nous de mêler des scènes documentaires et d’autres complètement fictionnelles. Ça a été un vrai casse-tête de les faire coexister.
C.M : Il fallait qu’on trouve un rythme et un ton, que les séquences plus écrites, sonnent juste et puissent s’harmoniser avec des séquences d’entraînement ou certaines séquences d’improvisations entre les filles, plus longues et d’un aspect brut plus documentaire. Toutes les séquences d’improvisation n’ont pas été simples à mettre en place. Notre chef opérateur, Sylvain Verdet, nous a aidées à trouver le dispositif adéquat : pas de placements, que des gestes naturels et sa caméra s’adaptait le moment venu pour donner une tension, un mouvement spontané et non préparé.
Si vous deviez définir le personnage de Sarah en une figure de patinage artistique, laquelle choisiriez-vous ?
L.P : La pirouette Billman, c’est une pirouette très impressionnante. Quand on se mettait à douter du niveau de Sarah en patin, qu’on se disait qu’on aurait du mal à faire croire qu’elle était très douée, elle nous la faisait. Du coup, ça nous calmait…
C.M : Le personnage de Sarah, est très marqué par la forte personnalité de Sarah Bramms, son naturel, sa liberté. Si elle devait être une figure de patin, ce serait une figure à son nom, qu’elle aurait inventée, à la fois puissante, gracieuse, drôle et charmante.
Propos recueillis par Ava Cahen.
Photo : Copyright UFO Distribution