Laisse-moi t’aimer
C’est une sprinteuse Anaïs. Elle court tout le temps, ou plutôt, elle trace à bicyclette. Elle va comme elle parle, vite. Un pur personnage de comédie à la de Broca, une locomotive qui ne s’arrête jamais en gare, peu importe les dommages causés par son fulgurant passage. Avec Anaïs, tout est succinct et fugitif. Un rôle énergique, taillé sur mesure pour Anaïs Demoustier, actrice qui a le rythme dans la peau et que Charline Bourgeois-Tacquet avait déjà fait jouer dans son court métrage Pauline asservie (Semaine de la Critique 2018). Si Pauline était asservie donc (dépendante à son téléphone qui ne lui transmet pas les nouvelles qu’elle attend), Anaïs, elle, ne veut dépendre de rien ni de personne. Elle a 30 ans et fuit les responsabilités et les engagements : son petit ami est largué, son directeur de thèse aussi, sa proprio, désemparée. Quant à son nouvel amant (Denis Podalydès), il ne sait plus sur quel pied danser avec ce charmant petit pitre qui prend tout à la légère (et beaucoup de place). Pourtant, le drame rôde. Il n’y a jamais de comédie réussie sans notes graves, sans grincement, sans apesanteur de pesanteur. Charline Bourgeois-Tacquet arrive à trouver l’équilibre des registres parfait, et c’est lorsqu’Émilie (merveilleuse Valéria Bruni-Tedeschi) entre en scène que le thème et le tempo changent. Romancière à succès qu’Anaïs admire, Émilie est aussi la femme de son amant. Au beau milieu du film donc, l’équation sentimentale se complique encore un peu plus, et le triangle amoureux se recompose. Ce n’est ni du Pinter, ni du vaudeville. La réalisatrice a son propre style – et un chef opérateur de talent, Noé Bach. Elle nous offre le récit singulier et entraînant d’une jeune femme pleine de contradictions qui fonce pour ne pas s’effondrer. Ce sont les bras d’Émilie qui vont empêcher la chute, et la voir danser avec Anaïs sur “Bette Davis Eyes” de Kim Carnes, comme si elles étaient seules au monde, nous transporte, nous aussi, sur un petit nuage. Ce standard pop n’a pas été choisi tout à fait par hasard : d’abord, l’amour que la réalisatrice a pour ses comédiennes transpire par tous les pores du film, ensuite, c’est bien de regard dont il est ici question, de manière de regarder l’autre, avec ardeur, sans coquetterie. C’est beau à voir, c’est beau à vivre.
Réalisé par Charline Bourgeois-Tacquet. Avec Anaïs Demoustier, Valéria Bruni-Tedeschi, Denis Podalydès … Durée : 1H38. HAUT ET COURT. En salles le 15 septembre 2021.