Regarde les hommes tomber
Prix du Jury du dernier Festival de Cannes (ex-æquo avec Memoria), Le Genou d’Ahed est un film expérimental, frappé et âpre. “Tout ce que vous allez voir est vrai (…), c’est le style qui m’intéresse” dit le personnage d’Y (Avshalom Pollak, phénoménal), cinéaste mal rasé et luné venu présenter son film dans un village perdu en plein désert. Le miroir est alors tendu, le reflet de l’alter-ego, bien présent. Sa caméra, Nadav Lapid joue avec comme un enfant jouerait avec un avion en papier dans ses mains, il la fait voler, il la retourne, il la soupèse. La tête en l’air, les pieds sur terre, en avant, en arrière, on part dans tous les sens sans jamais perdre cependant la ligne d’horizon. C’est au son d’une moto qui fuse que le film démarre, mais il cultive d’autres bruits, de gorge, de bouche par exemple. Un râle qui dit la rage et le désespoir du protagoniste, en guerre contre son propre pays, Israël, terre sèche, infertile, malade. Invité par la médiathèque d’un village perdu au milieu du désert à présenter son travail, Y va faire la rencontre d’une jeune fonctionnaire du ministère de la Culture (épatante Nur Fibak). Une admiratrice qu’il voit comme une collabo. Les mots étaient déjà durs dans Synonymes, son précédent film, Ours d’or de la Berlinale 2019, ici, Lapid frappe encore plus fort, et c’est sonné que l’on sort de la salle, comme après un match de boxe. Mais le film n’est pas que coups et blessures. Certes, il est d’une rare noirceur, mais il est aussi gonflé de tendresse et d’amour, il a de la suavité, comme on en trouve dans la voix de Vanessa Paradis qui chante dans les oreilles du héros “Be My Baby”. Avant de devenir cinéaste, Y a été soldat, comme tous les autres. Un soldat de plomb, un buffle, un mufle. Un modèle de virilité tel que l’armée en fabrique à la chaîne. Une bête qui obéit et se soumet aux ordres (toxiques) qu’on lui donne. C’est ce carcan que Lapid (comme son personnage) fait péter par la force du cinéma. Pour l’amour d’une mère aussi, qui n’est plus la Patrie. Féroce, implacable et bouleversant.
Réalisé par Nadav Lapid. Avec Avshalom Pollak, Nur Fibak, Yoram Honig … Durée : 1H49. En salles le 15 septembre 2021.