Des corps, des failles
Leyla Bouzid caressant l’anatomie de Sami Outalbali dans Une histoire d’amour et de désir, Audrey Estrougo captant l’énergie sensuelle et rageuse de Théo Christine dans Suprêmes… Lors du dernier Festival de Cannes, plusieurs femmes cinéastes se sont aventurées – avec un indéniable succès – à filmer le corps des hommes. Proposant hors des sentiers battus et rabâchés, une façon alternative, délicate et interrogative, du mystère masculin souvent réduit au cinéma à sa virilité musculeuse mais qu’elles ont su traquer et saisir dans des gestes dérobés mais très affirmés de cinéma.
C’est le cas également de Robuste, premier long de Constance Meyer, révélation présentée en ouverture de la Semaine de la critique et qui sort en salles aujourd’hui. Avec pour modèle central, narratif et physique, le corps massif mais composé d’argile de Gérard Depardieu. Il interprète ici un acteur qui lui ressemble en tout (embon)point, éructations, énervements et moments de détresse comme d’infinie solitude. Une star capricieuse, pas fiable, qui refuse de répéter ou d’essayer ses costumes et profite pour s’échapper du moindre moment d’inattention d’une équipe qu’il effraie. La belle idée de la réalisatrice est de sans cesse diffracter son regard au travers de celui des personnages secondaires. La garde du corps interprétée par la décidément sensationnelle Deborah Lukumuena ou le fils de cinq ans. Et surtout celui de Depardieu lui-même. Miroirs et reflets, sorties de champ en douce, cinétique particulière de ce gabarit désarmant… Elle filme surtout la sédimentation du mouvement de Depardieu. Les traces et le silence qu’il laisse derrière lui. Ce moment de calme retrouvé où les particules autour de lui semblent reprendre leur place après le passage de cette bourrasque essoufflée. Un principe de mise en scène qui a le bon goût de n’être jamais figé, d’être en incessante oscillation intuitive et d’accueillir les corps des autres protagonistes, leur beauté et leur langage. Avec toujours en point d’ancrage de la caméra cette dualité entre force et fragilité. Ce bref instant où la première vacille et cède à la seconde que ce soit dans la présence magnétique de Deborah Lukumuena ou celle, fragile et gracile, de Théodore Le Blanc, lutin malicieux qui campe le rejeton de Gérard Depardieu. Deux statures qui n’ont nullement peur de la présence envahissante dans tous les termes du sens de Depardieu. Leur force de résistance adoucit et nuance celle du comédien vampirique et révèle sa complexité douloureuse à l’écran. Et cette faille dévoilée et assumée est simplement magnifique.
Réalisé et écrit par Constance Meyer, avec Gérard Depardieu, Deborah Lukumuena, Théodore Le Blanc, Lucas Mortier… France – 1h35 – En salles le 2 mars 2022 – Diaphana Distribution