Une histoire de la douceur
Ces dernières années, plusieurs cinéastes français, enfants ou adolescents des années 1980, semblent se tourner vers cette décennie pour raconter leurs histoires et faire résonner le contemporain. Vincent Maël Cordona, César 2022 du meilleur premier film, y situait l’action des Magnétiques, l’élection de François Mitterrand en ouverture. Quatre ans après Amanda, c’est par cette même liesse nocturne, le jour inoubliable d’une génération et de la victoire de la gauche, que Mikhaël Hers ouvre Les Passagers de la nuit. Mais Elisabeth (immense Charlotte Gainsbourg) récemment séparée de son mari, traverse cet événement avec tristesse. Seule et mère de deux jeunes adultes, elle va devoir travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Pour échapper à ses insomnies, elle se fait embaucher à la Maison de la radio comme standardiste pour « Les Passagers de la nuit », l’émission de la grande prêtresse de la nuit, Wanda Dorval (Emmanuelle Béart magistrale). En devenant l’oreille des confessions des visiteurs, elle fait la connaissance de Talulah. Dans cette période de renaissance intime et professionnelle pour Élisabeth, Noée Abita incarne cet oisillon tombé du nid secouru par toute la famille, réanimée comme par enchantement par sa présence. Talulah c’est cette jeune femme marginale et paumée, cette passagère de leur vie sur plusieurs années. Objet des premiers émois amoureux du jeune Matthias (la découverte Quito Rayon Richter), elle traverse le film telle les héroïnes libres de Rivette et Rohmer. Sa singularité ramène à la vie la fascinante et regrettée Pascale Ogier qui apparait, par citations cinéphiles, dans Le Pont du Nord et Les Nuits de la pleine lune.
Sur le ton de la chronique familiale, voyageant dans le quartier Beaugrenelle, Les Passagers de la nuit épouse le rythme et les vibrations de la vie. Entre les joies et les tristesses, persistent les liens qui unissent les personnages entre eux, l’amour désintéressé que se portent les êtres les uns envers les autres comme véritable sujet du film et du cinéma de Mikhaël Hers qui se cristallise souvent dans des scènes de parcs. Mais, ici, surtout dans cette scène centrale, la fin d’un repas familial, un vinyle de Joe Dassin, entonnant « Et si tu n’existais pas », une main tendue pour entrer dans la danse collective et la profondeur des sentiments.
Depuis longtemps, le réalisateur voulait plonger dans les sensations que lui rappelait cette époque. Il y déambule dans une délicate lenteur, sublimant les gestes du quotidien en leur offrant la saveur du romanesque. Dans cette nuit bleue du crépuscule, l’organique des images composées de numérique, de pellicule et d’archives contrastent avec l’évanescence de la mélancolie et des sentiments. C’est à travers cette poésie sensorielle que la mise en scène ressemble à ses personnages, entre force et fragilité, pour lesquels le cinéaste a une tendresse rare. Passagers de la nuit, ils le sont tout autant de la vie et leur doux murmure touche droit au cœur.
Réalisé Mickaël Hers et écrit par Mickaël Hers et Maud Ameline avec Charlotte Gainsbourg, Noée Abita, Quito Rayon Richter, Emmanuelle Béart, Megan Northman…France – 1h51 – En salles le 4 mai 2022 – Nord-Ouest Films/Pyramide Distribution