Le feu sous la glace
« Maman, tu m’aimais avant que j’existe ? » C’est une des phrases le plus fortes et les plus émouvantes du nouveau film de Léa Mysius, Les Cinq Diables, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en mai dernier. Après Ava, son premier long remarqué à la Semaine de la Critique, la scénariste d’Audiard et Desplechin signe une histoire fascinante et audacieuse qui mêle liens familiaux, romance queer, gymnastique rythmique et voyage dans le temps. Joanne (Adèle Exarchopoulos) est prof de natation au complexe sportif “Les Cinq Diables”. Elle est mariée à Jimmy (Moustapha Mbengue), sapeur-pompier, dans un mariage qui semble battre de l’aile, et qui tient surtout grâce à leur petite fille Vicky (Sally Dramé), petite fille métisse au regard vif et à l’odorat étrangement surdéveloppé. L’arrivée dans ce petit village de Julia (Swala Emati), la sœur de Jimmy, réveille des blessures enfouies. « Je veux qu’elle s’en aille » lance Joanne à son mari. Le mystère va être progressivement dévoilé par Vicky, qui va trouver une manière olfactive de replonger dans le passé de sa mère, et remonter le fil des événements qui ont mené à son existence. Convoquant le fantastique et l’onirique pour raconter la violence ordinaire d’existences contrariées, Les Cinq Diables envoûte tant par son histoire en forme de puzzle baroque que sa mise en images aux tons hivernaux, où se côtoient feux ardents et eaux glacées. En filigrane, le film développe aussi un propos politique, sur le racisme et l’homophobie – mais sans en faire un film militant, les personnages étant définis avant tout par ce qu’ils font et pas par ce qu’ils sont (mis à part le harcèlement scolaire de Vicky dû à ses cheveux crépus). L’amour sous toutes ses formes, filial, romantique ou amical, est in fine au cœur de ce voyage entre présent et passé, que le spectateur est invité à recomposer.