La villa des privilèges
“Le vert céladon et le léopard, c’est mieux coordonné” affirme Louise, chic maitresse de maison interprétée avec majesté par Dominique Blanc, plus Bette Davis que jamais. Une réplique qui fait mode, mais qui fixe surtout les enjeux de cette satire sur la lutte des classes qu’est L’Origine du mal, troisième long métrage de Sébastien Marnier où chaque personnage veut sa part du gros gâteau. Le réalisateur nous ouvre les portes d’une villa de luxe (un personnage à part entière) à la décoration pompière où réside Serge (grandiose Jacques Weber), riche homme d’affaires, sa femme, Louise, bourgeoise accro au téléachat, son ambitieuse fille, George (Doria Tillier), et la gouvernante silencieuse, mais tiquée, Agnès (Véronique Ruggia Saura). Un clan boutonné jusqu’au cou et verrouillé de l’intérieur, dans lequel s’invite Stéphane (Laure Calamy), modeste ouvrière qui met des sardines en boîtes et se présente comme la fille biologique de Serge. Une pièce rapportée donc, qui encombre une villa déjà bien encombrée et jure avec les tissus et les toiles griffés. Mensonges, manipulations, jeux de pouvoir, rapports de domination/dépendance, voilà le programme pensé par Marnier dont le cinéma met toujours en question les égarements de la société et des individus – le dérèglement de la santé mentale d’une agent immobilière broyée par la compétitivité dans Irréprochable, la pression de l’excellence en milieu scolaire et le vertige que provoque le dérèglement climatique dans L’Heure de la sortie, et ici, la famille, comme métaphore du vieux monde, sous cloche, capitaliste et patriarcal. Si Stéphane ne sait pas où elle met les pieds, ses hôtes ne savent pas non plus de quel bois elle se chauffe. Le mystère est soigneusement entretenu, le suspense grimpe, chacun des personnages a des cartes dans les manches, et cette partie de poker-menteur est des plus jouissives à suivre. Le plaisir que prennent les comédiennes à jouer leur personnage est communicatif, chacune ayant son propre style, son propre emploi, comme au théâtre, ou comme dans un roman d’Agatha Christie. Non seulement Marnier déclare sa flamme à ses actrices à travers les rôles d’envergure qu’il leur offre, mais en plus, son amour du cinéma imprègne tout le film, ses influences s’affichent avec ludisme, de Carpenter à Chabrol en passant par Hitchcock et Bong Joon Ho. Aussi divertissant que mordant. Un pur film de genre.
Réalisé par Sébastien Marnier. Avec Laure Calamy, Dominique Blanc, Jacques Weber, Doria Tillier … Durée : 2H05. En salles le 5 octobre 2022. The Jokers.