Le Festival de Saint-Jean-De-Luz s’est achevé hier soir après une semaine d’agapes cinématographiques. Parmi la belle sélection de premiers et deuxièmes films en compétition, FrenchMania a eu cinq coups de cœur. Revue de détails…
ALMA VIVA de Cristèle Alves Meira
La petite Salomé, franco-portugaise qui passe ses vacances auprès de sa grand-mère dans un petit village du nord du Portugal va vivre un été tumultueux. Cette grand-mère qu’elle aime tant et pour qui rites et spiritualité n’ont aucun secret meurt dans son sommeil et les rivalités enfouies se réveillent aussi sec. Querelles de voisinage enfouies, soupçons de sorcellerie qui virent à la mise au ban, jalousies et mesquineries familiales en tout genre vont être le quotidien de Salomé alors que le corps de la défunte attend inhumation qui tarde à arriver. La petite fille qui semble avoir hérité de la sensibilité de son aïeule pour les dialogues avec l’outre-monde, observe ce petit théâtre drôle et cruel et vit l’expérience intime de la spiritualité comme un rite de passage vers l’adolescence. Mariage surprenant entre la tragi-comédie à l’italienne et le réalisme magique d’un Kusturica, Alma Viva emporte tout sur son passage. Puissant et d’une grande maîtrise, le film injecte savamment les éclats de rire au milieu du sanglot. Un vrai petit miracle !
Prix Coup de cœur du Jury – Sortie prévue le 15 mars 2023
NOS SOLEILS de Carla Simón
A Alcarràs, petit village de Catalogne, les journées d’été se suivent et se ressemblent au gré de la récolte des pêches dans l’exploitation familiale. Mais le monde change et c’est une bascule violente qui s’annonce quand il devient bien plus rentable d’installer des panneaux solaires que de poursuivre les traditions fruitières. Le film de Carla Simón, récompensé à juste titre par l’Ours d’or à Berlin et film espagnol dans la course à l’Oscar de l’œuvre en langue étrangère, est un chronique d’une délicatesse et d’une précision inouïes. Sans effets de mise en scène voyants, Nos Soleils parvient à multiplier les points de vue, épousant tout à tour le regard de tous les membres de cette famille qui se désunit face à l’inéluctable et funeste destin de leurs terres pour mieux se retrouver, depuis le patriarche pris en défaut de n’avoir jamais rien signé, lui qui vient d’un temps où la parole faisait foi de contrat jusqu’aux petits enfants qui cherchent le moyen de faire jeu de tout bois. Et puis il y a ces deux ados pris en étau entre les générations au moment le plus complexe de leurs vies, ce garçon volontaire et dévoué à ces terres, cette fille passionnée de danse qui n’est dupe de rien, dont on n’oubliera jamais les regards. Cette chronique ensoleillée d’un monde qui disparaît en silence est une véritable leçon d’écriture et de mise en scène.
Prix de la critique et Prix de la mise en scène – En salles en janvier 2023
AMORE MIO de Guillaume Gouix
Lola, jeune mère de famille un peu « border », refuse d’assister à l’enterrement de son amoureux qui vient de mourir en moto, elle force sa sœur Margaux à s’embarquer dans un road trip expiatoire avec son jeune fils.
Premier long métrage en tant que réalisateur d’un comédien surdoué, Amore Mio est une tornade émotionnelle puissante. Faux road movie qui multiplie les aller-retours au rythme des revirements émotionnels de ses héroïnes, Amore Mio fourmille d’idées de mise en scène. Dès l’ouverture du film, on est saisi par un regard d’une modernité folle sur des personnages hors-cadre, des femmes fortes qui assument leur part de fragilité et qui n’ont jamais peur d’être cash. On savait à quel point la présence à l’écran d’Elodie Bouchez peut rendre chaque seconde de cinéma magique, elle le confirme ici encore. Face à elle, Alysson Paradis, en jeune veuve bouleversée qui tente de sortir la tête de l’eau par tous les moyens, déploie une palette de jeu impressionnante, complexe et singulière. Ces retrouvailles entre deux sœurs que la vie avait éloignées sont le cœur battant de ce premier film à fleur de peau, beau et puissant comme un tatouage fait par amour.
Prix du jury jeunes – En salles en février 2023
HARKA de Lotfy Nathan
Ali vend de l’essence au marché noir, c’est comme ça qu’il parvient encore à s’en sortir et à nourrir ses jeunes sœurs dont il a la charge depuis la mort de leur père. Mais, au fil des jours, subissant les assauts répétés d’une police corrompue, la situation devient de moins en moins tenable et le jeune homme doit frapper à toutes les portes qui se présentent pour tenter d’obtenir ne serait-ce qu’un travail décent.
Harka est un portrait sans appel de la Tunisie post-révolution, et tire sa force de la façon dont il suit, pas à pas, son personnage central qui symbolise presque à lui seul le désespoir d’une génération qui peine à trouver sa place et doit lutter chaque jour pour survivre. De chaque plan ou presque, le comédien Adam Bessa, absolument éblouissant, incarne à lui seul les espoirs déçus de cette jeunesse en proie à une colère de moins en moins sourde. De la douceur à la rage, son visage et son corps vibrent presque imperceptiblement au gré de la montée en puissance de cette révolte intérieure contre les évidentes injustices, cette révolte qui ne pourra pas être contenue malgré les tentatives multiples d’échapper à son destin. L’alternance des clair-obscur et des lumières aveuglantes, les visions de cette mer Méditerranée qui prend des allures de mur infranchissable guident une mise en scène époustouflante de beauté et jamais vaine.
Prix d’interprétation masculine – En salles le 19 octobre 2022
BUTTERFLY VISION de Maksym Nakonechnyi
Dans les guerres, des soldats meurent, d’autres reviennent, définitivement marqués, par la violence extrême des choses vues et subies. C’est le cas de Lilia, spécialiste de la reconnaissance aérienne, qui rentre dans sa famille ukrainienne après avoir vécu l’enfer dans le Donbass.
Film clinique, tranchant et froid comme de l’acier, Butterfly Vision est un geste de cinéma profondément marquant. D’abord par son personnage central, femme blessée mais combattive qui refuse de se voir comme une victime et tente d’aller de l’avant, de ne pas renoncer, d’assumer ses choix, ses contradictions comme ses revirements. Lilia est incarnée par la comédienne Rita Burkovska qui parvient à donner à son personnage une complexité rare. Ensuite parce qu’il marque clairement la découverte d’un réalisateur plus que prometteur. La mise en scène de Maksym Nakonechnyi est inventive, joue avec les formes, les décalages, les bruits et les visions et offre des perspectives incroyablement singulières. Une révélation.
Grand Prix du jury – En salles le 12 octobre 2022