Lucie au pays des merveilles
Quand Lucie – actrice chevaleresse – s’endort, au beau milieu d’un sublime paysage médiéval, son terrier se révèle être un théâtre vide où des comédiennes se retrouvent perdues dans un entre-deux entre fiction et réalité interrogeant la nature même du jeu. Après le plutôt naturaliste et percutant Braquer Poitiers, Claude Schmitz poursuit avec Lucie perd son cheval, un film comme une recherche cinématographique, déstructurant perpétuellement son récit. La narration établit son point de départ dans les Cévennes, où Lucie passe des vacances chez sa grand-mère avec sa fille. De ces prémisses documentaires, une matière filmique tournée à l’origine pour être montrée sur scène dans une création du réalisateur, également metteur en scène de théâtre, Un Royaume, l’histoire nous montre la jeune femme en chevaleresse, montée sur un cheval switchant vers l’univers du merveilleux féodal. Mais si comme elle le répète, l’héroïne essaie de ne « pas perdre le fil », du récit comme de sa vie, la perte de son cheval apparaît comme métaphore de la condition de l’actrice. Alors dans ce théâtre confiné de sommeils en réveils, se joue la représentation du présent de la fiction saisi à la volée. Actrices endormies, donc, dans l’attente d’interpréter Le Roi Lear, techniciens éveillés comme des gardiens d’une pièce qui ne peut pas avoir lieu, réalisateur facétieux recherchant du romanesque et de la vie dans de simples dialogues et situations. Ici, les métamorphoses narratives emboîtées les unes dans les autres ne sont pas sans rappeler celles aussi inventives de Jacques Rivette dans Céline et Julie vont en bateau où un simple bonbon plongeait les actrices dans une autre faille spatio-temporelle établissant l’art de la digression à rebours des dramaturgies classiques. En créant des univers et en fabriquant un cinéma spontané avec peu de choses, mais surtout avec des acteur.rices, Lucie perd son cheval, objet hybride par essence, vient rappeler le pouvoir de la création et de l’imaginaire, la vie étant un songe (ou une comédie) quand des crises comme une pandémie bouleversent le monde et lui ordonnent l’arrêt forcé.
Réalisé par Claude Schmitz. Avec Lucie Debay, Hélène Bressiant, Judith Williquet, Francis Soetens, Olivier Zanotti…- 1h22 – France – En salles le 8 février 2023 – Shellac Distribution.