Un vertige
Le film s’ouvre sur le visage implacable d’Anne (Léa Drucker). Face à elle, une adolescente, larmes dans les yeux et menton tremblant, lui livre ses secrets. « Le nombre de garçons avec qui tu as couché n’a pas d’importance pour moi » la rassure Anne. « Mais la partie adverse va essayer de faire jouer ça contre toi. Au tribunal, les victimes passent souvent pour les bourreaux ». Avocate brillante spécialisée dans la défense des jeunes filles victimes d’abus, Anne est mariée à Pierre (Olivier Rabourdin), un homme d’affaires très occupé avec qui ils ont adopté deux petites filles (Serena et Angela Chen). Ils vivent dans une maison de campagne opulente entourée d’un jardin, intérieurs cossus et verres de vin au déjeuner. Théo (Samuel Kircher), le fils de Pierre issu de son premier mariage, ado rebelle, turbulent et tourmenté, vient vivre avec eux après s’être fait virer de son lycée. L’indifférence mutuelle que Anne et Théo se portent au départ va peu à peu laisser place à la curiosité, qui elle-même va glisser vers la séduction… et enfin vers la passion. Mentale, physique, totale : une obsession. Dans ce remake du film danois Queen of hearts de May el-Toukhy (2019), Catherine Breillat dissémine çà et là ses influences : de Marie-Madeleine en extase du Caravage pour la jouissance filmée de près, à Chabrol pour le côté drame bourgeois, en passant par Hitchcock pour la blondeur fatale de l’héroïne ou encore Bergman pour les relations humaines complexes et torturées. Les scènes de sexe comme d’habitude sont nombreuses et longues chez Breillat, mais chacune raconte autre chose de ces personnages et leur intimité. Loin des adjectifs comme « sulfureux » ou « provocant » avec laquelle on l’associe souvent, Breillat filme le désir, l’amour, l’extase, dans toute leur pureté. Et si le sujet met mal à l’aise sur le papier, le traitement qu’en fait la réalisatrice est limpide : loin de toute romantisation, la cinéaste confronte ses personnages à leurs actes, à leurs conséquences, ainsi qu’à leurs émotions. En ce sens, le personnage d’Anne est aux antipodes de la naïveté de celui de Julianne Moore dans May December, le film de Todd Haynes également en compétition cette année à Cannes, et qui raconte une histoire d’amour avec une différence d’âge similaire. Féministe dans sa façon de raconter une femme puissante mais imparfaite – ni maman ni putain ni salope – qui cède au vertige pour conjurer la peur du vide, L’Été dernier est un film limpide, frontal et puissant, qui raconte, comme son titre suggère, une passion aussi brûlante que passagère.
Réalisé par Catherine Breillat, avec Léa Drucker, Samuel Kircher, Olivier Rabourdin … Durée : 1H44. En salles le 13 septembre 2023 – Pyramide Distribution