T’es plus dans le coup papa
Perdu en terre inconnue, loin de Paris et de la cour, le Marquis Jacques Antoine Saturnin d’Urfé, noble émissaire du Roi de France, trouve refuge dans une humble datcha où vit une famille de paysans qui, malgré sa modestie, l’accueille avec noblesse. Mais le visiteur poudré tombe bien mal : ses hôtes, sans nouvelles de leur père parti au combat, espèrent autant qu’ils redoutent son retour prochain. « Si jamais, ce dont Dieu vous garde, je revenais après six jours révolus, je vous ordonne de ne point me laisser entrer, quoi que je puisse dire ou faire, car je ne serais plus qu’un maudit Vourdalak », avait sentencieusement prévenu papa. Ça craint. Et ça craint d’autant plus que la carcasse de Gorcha est retrouvée au fond du jardin, et que le vieil homme a les crocs… Conte gothique et satirique, le premier long métrage d’Adrien Beau joue avec le style baroque, sa théâtralité et son symbolisme pour mieux parler d’une époque toxique où la figure tutélaire du père aveugle le monde. Le patriarcat, Adrien Beau le représente grabataire, la peau sur les os. Un cadavre vaniteux (doublé par le réalisateur lui-même) qui se cramponne à sa chaire; une effrayante marionnette (artisanale et réaliste) qui veut posséder tous les corps de la maisonnée et d’ailleurs. Le Marquis (excellent Kacey Mottet-Klein) est donc dans la mouise et va apprendre à ses dépends que ses privilèges ne lui seront d’aucun secours face au Vourdalak. Bye-bye l’immunité ! On rit, on frémit – le travail du son et les bruits de suçotements tiraillent et tendent. C’est entre Nosferatu, Le Bal des vampires et Les Contes de la Crypte que s’établit ce film bricolé, pittoresque et beau-bizarre, inspiré d’une nouvelle tombée aux oubliettes d’Alexeï Konstantinovich Tolstoï (l’autre). Présenté à la Settimana della Critica de Venise, dans le cadre d’une compétition globalement queer et féministe, Le Vourdalak associe donc folklore, mythe et métaphore à un soupçon de gore, et dénonce, d’une voix singulière, les monopoles, les tutelles, les décadents et les despotes. Adrien Beau signe un premier film fantastique qui a des tripes et du tempérament, à l’image du grand final qu’il nous réserve, pétulant, narquois comme un sourire. Une proposition originale, kitsch et décalée qui vaut franchement le coup d’œil.
Réalisé par Adrien Beau. Avec Kacey Mottet-Klein, Ariane Labed, Grégoire Colin, Vassili Schneider … Durée : 1H31. En salles le 25 octobre 2023.