Judith Godrèche par elle-même
Découverte au milieu des années 80, égérie des films de Benoit Jacquot (La Désenchantée), Jacques Doillon (La Fille de 15 ans) ou d’Olivier Assayas (Paris s’éveille) dès le début de sa carrière – carrière entamée alors qu’elle était encore mineure – Judith Godrèche a depuis multiplié les aventures artistiques. Naviguant entre cinéma d’auteur et productions plus populaires comme L’Homme au masque de fer ou L’Auberge espagnole, passée par la case Hollywood sans y trouver vraiment sa place, elle incarne le visage d’un cinéma français dont elle a épousé la diversité et la multiplicité. La cinquantaine épanouie, elle signe sa premières série, après avoir mis en scène en 2010 un premier film intitulé Toutes les filles pleurent. Dans cette série loufoque, burlesque, touchante et souvent poignante, Judith Godrèche interprète Judith Godrèche. Voilà pour le dispositif. Une version à peine modifiée d’elle-même où elle évoque la difficulté de redonner un nouveau souffle à sa carrière hexagonale après un passage guère épanouissant par Hollywood, le fait d’être sans cesse ramenée à son rôle dans Bimboland (d’Ariel Zeitoun en 1998) ou qu’on la confonde régulièrement avec Juliette Binoche. Elle revient également sur son histoire d’amour avec un metteur en scène de quarante ans lorsqu’elle était adolescente et comédienne en devenir : un passé complexe qu’elle scrute avec toute la distance pudique et nécessaire, sans tomber dans le règlement de compte. Sinon peut-être avec elle-même mais sans exonérer pour autant l’homme manipulateur qu’elle épousa sans être majeure.
Sur ce terreau douloureux, Judith Godrèche porte un regard lucide et signe une fiction en forme de vrai-faux autoportrait à peine déformant édifié dans l’écriture de situations conjointement hilarantes et cathartiques où elle évite tous les écueils de l’atermoiement narcissique. L’humour tout en ironie mordante et les situations cocasses cohabitent ici avec de véritables déchirures et des blessures intimes que l’on devine encore à vif. Son premier talent (et sa première élégance) est de s’affranchir d’ailleurs du risque béant du “moi je” en évoquant le devenir des actrices qui, passées la quarantaine, sont délaissées ou regardées avec condescendance, condamnées à se produire déguisée en hamster dans une parodie de Mask Singer. Ou lorsque les producteurs rechignent à les prendre au téléphone après que leurs secrétaires de vingt ans ont fait épeler ce nom qui ne leur disait rien. Judith Godrèche dit ici la solitude de son double, son besoin de sororité – formidables seconds rôles féminins -, sa peur de l’abandon et ses craintes quand elle comprend que sa fille ambitionne de devenir artiste dans cet univers dont elle connaît mieux que quiconque la cruauté et la toxicité. Le dernier épisode où elle confronte l’enfant qu’elle fut et l’adulte qu’elle est devenue est bouleversant d’émotion écorchée. Une réconciliation qu’il est permis de penser fragile, acmé bouleversant de cette série où les dialogues sont pétris d’intelligence narquoise et la mise en scène pétille de mille trouvailles pertinentes.
Série écrite et réalisé par Judith Godrèche. Avec Judith Godrèche, Laurent Stocker et Tess Barthélemy. Sur Arte.tv jusque fin juin