Il a écrit le film pour elle et elle s’est fait un malin plaisir d’endosser le costume de cette Rachel Zimmerman, mère et grand-mère bien peu conventionnelle à la tête d’une famille de cambrioleurs à l’ancienne. FrenchMania a rencontré Fanny Ardant et Thierry Klifa pour évoquer Les Rois de la piste, comédie policière drôle, élégante et touchante, en salles depuis mercredi…
Quand on vous propose un personnage, qu’est-ce qui éveille votre désir ?
Fanny Ardant : C’est obscur, justement. Souvent je dis que je sais très bien pourquoi je n’aime pas quelque chose alors que je ne sais pas pourquoi j’aime quelque chose. Et donc, un scénario, un rôle, c’est tout de suite une sorte d’envie d’entrer dans la forêt. Ça ne s’analyse pas. Et quand je lis un scénario, je dis tout de suite oui parce que le personnage, je sais que j’ai envie de le jouer. D’un seul coup, on lit un scénario, comme ça, en se jetant sur son lit, on se relève et on dit oui. Il n’y a pas « peser le pour et le contre », pas de stratégie. Alors qu’un scénario dont je n’ai pas envie ou un rôle que je n’aime pas, je sais architecturer mon refus.
Donc, le désir n’est pas intellectualisé, il est presque instinctif ?
Fanny Ardant : Non. Quelquefois, on fait une succession de films noirs ou tragiques. Et puis, après, souvent, on me pose la question : « Est-ce que vous aimeriez jouer plus souvent dans des comédies ? ». Mais ça ne se passe pas comme ça. Moi, j’aime l’idée que c’est comme un air de musique qui arrive, qu’on n’a pas programmé.
Et on peut très bien faire un drame et une comédie avec le même scénario…
Fanny Ardant : (Rires) Oui et puis souvent on ne sait pas, quand on joue, qu’on est dans une comédie. Ce sont les autres qui voient ça comme une comédie. Soi-même, on prend toutes les choses avec cœur. C’est une question de vie ou de mort. Dans la comédie, c’est comme si on se jetait. Et puis, dans ce scénario, les dialogues étaient très bien écrits. Donc, c’était comme une sorte de partition dans laquelle il fallait se glisser. Et quand Thierry m’a proposé de jouer ce rôle, j’ai tout de suite aimé Rachel Zimmerman. J’aimais tout ce qu’elle représentait. Moi, j’ai toujours aimé les familles pas bien pensantes.
Donc là, cela a été immédiat, dès la lecture ?
Fanny Ardant : Oui, je me rappelle que je l’ai lu d’une seule traite. J’aimais déjà les autres personnages de ma famille. J’aimais avoir des fils comme ça, un petit fils comme ça. Et j’aimais même les défauts de cette femme. J’aimais qu’on puisse être étouffante par amour. J’aimais qu’on outrepasse son droit. Tu vois, la mauvaise foi, ou tous les outsiders qui rentreraient dans la famille, il fallait qu’ils soient passés au crible et que ce nétait pas acquis, tout ça.
Et il y avait aussi le fait que vous vous connaissiez bien, que vous ayez déjà travaillé au théâtre ensemble. Donc un a priori positif?
Fanny Ardant : Oui, parce que moi, j’ai toujours été très heureuse avec Thierry. On avait joué trois pièces. Je connaissais Thierry pour l’avoir rencontré comme ça, en dehors du cinéma ou du théâtre. Et puis, quand il m’a proposé L’Année de la pensée magique, c’était un texte très fort, un seule en scène. Et j’ai aimé tout ce temps du travail. Je n’avais jamais pas l’impression qu’on travaillait comme des laborieux. Moi, c’est toujours ce que j’ai dit de Thierry : comme il aime beaucoup les acteurs, on se sent regarder et écouter par quelqu’un qui est vigilant comme un chef d’orchestre qui sait que là, on a parlé trop vite ou on s’est avancé trop tôt. Donc, j’aime beaucoup ça. Parce que Thierry, ce n’est pas quelqu’un qui vous apprend à penser, mais qui sait exactement ce qu’il veut. Donc, c’est très agréable. Et après, comme on avait été dans des registres très différents, on se connaissait bien. Puis, en dehors de ça, ou quand on boit un verre, ou quand on marche ensemble dans la rue – c’est embêtant de le dire devant Thierry – mais c’est un homme généreux. Il aime les acteurs, il aime les gens, donc on se sent bien. On se sent aimé. Et je pense que c’est comme un jardinier qui arrose les plantes. On grandit.
Thierry, ce rôle était écrit pour Fanny ? Pensé pour Fanny ?
Thierry Klifa : En tout cas, je me disais que si Fanny ne l’aimait pas, cela serait compliqué parce que ce personnage ressemble beaucoup plus à Fanny que la plupart des personnages qu’elle a pu jouer. Il y a chez Fanny un côté Ma Dalton. Irréductible, excessive, et à la fois passionnée. Il y a une phrase que Fanny avait dit un jour en interview, que j’aime beaucoup. On lui avait demandé ce qu’elle avait appris à ses trois filles. Elle avait dit : « Je leur ai appris à ne pas courir sous la pluie ». Et j’ai trouvé qu’elle aurait très bien pu dire ça à ses fils dans le film. Il y a beaucoup de choses que pense Rachel que Fanny pense aussi. Et j’ai emprunté à Fanny quelques-unes des expressions qu’elle peut avoir dans la vie. De toute façon, ça fait longtemps qu’on voulait faire un film ensemble. Et, quand j’étais jeune journaliste, je devais avoir 23 ou 24 ans, j’avais écrit un texte sur Fanny. Elle avait lu ce texte. Elle avait été touchée par ce texte. Et elle m’avait dit « Mais vous allez écrire vos propres histoires. Vous allez faire des films ». Et moi, à l’époque, évidemment, que c’était mon rêve, mais je n’en parlais pas parce que je pensais que personne n’allait me prendre au sérieux. Et je m’étais dit que c’était fou que Fanny voie ça en moi. Moi, qui avais tellement de mal à croire en moi à cette époque-là encore. Et, des années après, quand j’ai fait mon premier film, je suis allé la voir pour la remercier en lui disant « Merci d’avoir cru en moi à ce moment-là de ma vie, parce que, dans les grands moments de doute, je repensais toujours au fait que vous aviez vu en moi un réalisateur ». Et Fanny m’a dit, « On ne pousse que ceux qui sont au bord de la falaise ».
Vous vous êtes tout de suite sentie proche de ce côté Ma Dalton du personnage ?
Fanny Ardant : Oui, parce que je pense que, soi-même, on ne se sent pas Ma Dalton, mais ce sont les autres qui vont vous considérer en dehors des clous, en dehors de la morale générale, en dehors du côté bon petit citoyen. Moi, ce que j’aimais aussi, c’est qu’elle était en dehors des clous mais qu’elle n’avait pas d’avidité, que c’était plus un style de vie. Elle est aussi bien capable de gérer un dîner avec je ne sais plus combien d’invités. Donc, c’est une femme pragmatique, mais aussi complètement libre. Et elle a enseigné à ses enfants cette même façon d’être insaisissable.
Thierry Klifa : Ce qui est drôle aussi, c’est que toute cette histoire, au départ, est venue d’une femme que j’ai rencontrée et qui était cuisinière à domicile. Sous une allure très élégante, d’abord une exceptionnelle cuisinière que Fanny connaissait aussi, et qui avait une vraie vie d’aventurière. C’était une joueuse invétérée. Elle jouait à tous les jeux possibles et, un jour, elle a perdu sa petite maison qu’elle avait en Bretagne. Elle a perdu son appartement à Paris. Et il ne lui restait plus que sa voiture et sa batterie de casseroles. Elle est allée vivre chez sa fille sur un lit de camp. Mais elle continuait à porter beau et puis elle a toujours pensé qu’elle allait se refaire.
Rachel Zimmerman n’irait pas siroter un mojito à l’autre bout du monde. Ce qui l’intéresse, c’est la préparation de ce casse, c’est d’être ensemble. C’est de comploter. Et finalement, en en parlant, je me suis dit c’était comme faire un film. Avec les acteurs, avec l’équipe, on complote, on recrée un moment. Ce qu’on préfère, c’est la fabrication, c’est le moment.
En repensant à votre filmographie, je me suis dit que les réalisateurs gays portait sur vous un regard différent. Je pense à Ozon (8 Femmes), à Aghon (Pédale douce), à Thierry. J’ai l’impression qu’ils voient en vous des choses que les autres ne voient pas.
Fanny Ardant : On m’a rarement appelée pour des comédies. Donc, c’est vrai qu’ils doivent voir en moi quelque chose que je ne vois pas. Ou que les autres réalisateurs n’ont pas vu… Il y a presque une évidence avec ces réalisateurs-là qu’il n’y a pas avec les autres. Quand on écrit une comédie, il y a un sens de la liberté. Et je pense que c’est ça qu’ils détectent. Je me souviens qu’à l’époque de Pédale douce, il y avait des grandes discussions pour me faire jouer le rôle de la bourgeoise parce que c’était le cliché. J’étais la bourgeoise de service. Alors que Gabriel qui disait non. Des détails : la productrice disait si, je l’ai vu avec des bas-résilles et d’un seul coup, je n’étais plus aussi bourgeoise que ça. Et ça, j’aime bien quand on voit autre chose en moi. C’est vrai que peut-être ce qui est le plus vrai de moi, c’est le sens du tragique de la vie. Mais qu’aussi, plus tu es tragique, et plus tout d’un coup on t’appelle pour entrer dans le côté insolent. Et, même dans Pédale douce, j’étais une femme sans amour, qui avait son copain gay, Patrick Timsit, mais qui est une solitaire. Bien sûr qu’elle a ce background et qu’elle peut être la reine de la nuit, mais elle est plombée. Ce sont des personnages de tragédie, quoi qu’il arrive.
Thierry Klifa : Moi, je pars du principe que je ne veux pas rire des personnages mais je veux rire avec les personnages. Moi, je ne veux pas rire d’une belle femme. Je veux rire avec cette belle femme. C’est la situation qui est drôle. Ce sont les répliques, les réparties. Et quand même une sorte de mélancolie latente, puis tout d’un coup, l’élégance du rire.
Et la comédie c’est une histoire de rythme. Comment trouve-t-on le rythme d’un personnage ?
Fanny Ardant : Moi, je n’arrive jamais à analyser un travail. Je pense qu’il y a comme un truc basique. Quand on est un paysan, il faut creuser la terre. Alors si vous savez les lignes, tout est question de ce qui s’installe dans la scène. Je trouve qu’il ne faut pas avoir d’idées trop préconçues parce que sinon, vous fermez des sentiers que vous n’auriez jamais visités. Je trouve qu’il faut savoir ses lignes pour être complètement libre. Sinon on peut manquer un cadeau du ciel, ce qu’on n’avait pas prévu, la façon dont un acteur vous regarde ou la façon dont il va dire cette phrase. C’est pour ça que je disais que Thierry sait exactement ce qu’il veut. C’est très agréable parce que, finalement, moi, j’aime l’idée que chacun a son univers et la jouissance d’une actrice, c’est de dire « Faites de moi ce que vous voulez ». C’est de ne pas avoir d’idées préconçues parce qu’on rentre dans l’univers de l’autre, des autres. Je suis plutôt de nature obsessionnelle donc si à chaque fois, je disais, c’est comme ça que je veux faire, je perdrais sans ressentir ce plaisir, tout d’un coup, qu’on vous ait poussée ailleurs.
Le fait de tourner en Normandie, hors de Paris, cela a apporté quelque chose de plus au tournage ?
Fanny Ardant : Oui, je sais que souvent, j’ai entendu ça aussi, les metteurs en scène préféraient aussi être expatriés parce qu’il y a comme une petite colonie qui se créé, c’est, tout à coup, une sorte de famille dans laquelle tout le monde va vivre que ce soit le chef opérateur, l’ingénieur du son, l’accessoiriste, la scripte. Parce qu’en fait, moi, ce que j’aime dans le cinéma, et en plus de ça, en province, c’est qu’on est sûr de revoir les gens le lendemain. Sans prétexte. Et puis on est sortis de son quotidien aussi. On était dans un endroit magique. On a une grande chambre et quand on ouvre les fenêtres, c’est un parc. Oui, moi j’ai beaucoup aimé. Et puis, en effet, dans cette région, tout était beau. C’est vrai qu’on se sentait comme dans un autre monde, quoi. Truffaut le disait beaucoup, que les tournages en extérieur, c’était ce qu’il y avait de plus extraordinaire. Et c’est vrai que pour moi, c’est incomparable. Et puis vous voyez, c’est la vie d’hôtel aussi, il n’y a pas de désordre dans une chambre d’hôtel, alors que dans un appartement, il y a du désordre. Tout est simplifié.
Avez-vous envie de reprendre la caméra en tant que réalisatrice ?
Fanny Ardant : C’est plutôt difficile parce que moi, je créé toujours des films qui ne marchent pas et je ne veux pas rentrer dans l’industrie du cinéma. Donc j’ai toujours cet amour pour Paolo Branco, (producteur des trois longs métrages réalisés par l’actrice, NDLR) qui était une sorte de flibustier, mais un amoureux du cinéma. Donc ça met plus ou moins de temps, j’aime bien écrire et puis j’attends, j’attends que ça se déclare. Mais l’envie est toujours là, il y a quelque chose, oui.