(L)ivre d’images
Trois ans après Annette, opéra pop et noir sur la rébellion d’une enfant unique contre son papa toxique, Leos Carax reprend le fil de ses réflexions/confessions sur les conflits de générations et la fabrique et la transmission des images, des récits et des sons, ciment de nos vies disjointes. La plupart des personnages de ses films sont convoqués comme des esprits : Merde (Tokyo, Holly Motors), Alex, Mireille, Anna et Michèle (Boy Meets Girl, Mauvais Sang, Les Amants du Pont Neuf), Isabelle et Pierre (Pola X), sans oublier Annette bien sûr, la poupée qui dit non. Des clopes, des carnets, des rêves, des cauchemars. Des images d’archives et des visages en pagaille (ceux des livres d’histoire et ceux des photos de famille). Des symphonies, Bowie, et des chats. Du réel, pour regarder au travers, et du cinéma, pour casser du verre et pardonner au réel d’être si épais. Tout s’entasse dans la caverne de Carax, le vrai et le faux, le laid et le beau. Cet exercice périlleux de l’auto-portrait, auquel quelques-uns de ses “pères” se sont prêtés, comme Godard, Carax le tourne et le détourne, le tord et le retord. On entre dans ce film-essai comme on entre en thérapie, en clignant des yeux pour faire plusieurs fois le point : Qui suis-je ? Où suis-je ? Où en suis-je ? Démarche introspective sinueuse où les chemins sont comme des vaisseaux sanguins de divers calibres, et où le verbe tangue et se fait taguer (à l’écran et sur les murs). Au bout de quelques minutes à peine, la flèche pénètre la chair, et à mesure qu’il défilme, Carax nous attrape au coeur – restez jusqu’au bout, sinon vous n’aurez pas tout vu ni tout entendu. Poème audiovisuel où la réalité et la fiction s’emmêlent les pinceaux avec malice, C’est pas moi est une drôle de créature à bosses et à creux, romantique et rebelle, qui traverse toutes les dimensions. Fantastique.
Réalisé par Leos Carax. Avec Denis Lavant, Ekaterina Yuspina, Loreta Juodkaite. Durée : 40 min. En salles le 12 juin 2024.