Depuis quelques années, elle est devenue l’une des actrices les plus en vue du cinéma français. Noémie Merlant est une exploratrice qui s’aventure dans des univers toujours très différents (Tar, L’Innocent) et dans lesquels elle surprend à chaque fois. Elle nous raconte son travail pour Emmanuelle d’Audrey Diwan et sa perception de son métier d’actrice depuis qu’elle est devenue, elle aussi, cinéaste…
Qu’est-ce qui a suscité votre envie d’incarner ce personnage ?
Noémie Merlant : Avant de rencontrer Audrey, j’ai lu le scénario. Et en fait, j’ai un peu peur, mais j’ai eu tout de suite une forte connexion avec le personnage, avec l’histoire de ce personnage. On commence avec une femme qui n’a pas de plaisir, qui est complètement happée par un monde qui l’engloutit, elle est presque comme un robot. Elle est en quête du plaisir pour les clients de l’hôtel et vit dans une espèce de luxe absolu, où tout est de l’ordre du plaisir immédiat. Elle a beaucoup de relations sexuelles mais elle pense toujours à l’autre, et finalement elle n’arrive pas à accéder au plaisir. Ça m’a beaucoup parlé cette recherche du lâcher prise, de comment se connecter à son corps. J’ai aussi adoré ce voyage, les rencontres qu’elle fait, l’ambiance du film, comment c’était raconté, cette tempête et les corps qui se frôlent…
Est-ce que cela a nécessité un engagement du corps différent pour une actrice ?
Noémie Merlant : J’ai travaillé beaucoup en amont avec une chorégraphe pour trouver comment faire tout ce voyage dans le corps, parce que c’est vrai qu’un corps d’acteurs, ça s’utilise beaucoup, c’est un outil autant que la voix. On a travaillé pour trouver une certaine rigidité au début du film et la façon dont, petit à petit, elle s’ouvre, elle se détend et se relâche complètement. C’était hyper intéressant de travailler ça comme c’était intéressant de travailler une scène de masturbation seule, une scène de sexe où ça ne passe que par les mots, comment aussi on va réinventer certaines choses avec un homme qui est presque comme un fantôme, une espèce de sujet de désir très mystérieux. Souvent c’est l’inverse dans les films, c’est la femme qui est mystérieuse, qui nous échappe, qu’on essaie de percer au jour. Mystère. Là, c’est l’inverse, comme cette scène de sexe à plusieurs et où c’est elle qui dicte ses envies à cet homme qui écoute. En fait, c’est hyper excitant de voir le consentement, de voir quelqu’un qui décide, qui s’exprime, qui est écouté, et la convergence du désir. Ce n’est pas chiant du tout, bien au contraire !
Alors que le désir féminin, le plaisir féminin, c’est un peu l’angle mort du cinéma et, notamment, du cinéma érotique…
Noémie Merlant : Oui c’est vrai ! Ça fait peur, c’est triste et ça ne nous aide pas. C’est important qu’il y ait des films qui traitent du plaisir sexuel, du plaisir tout court, qui traitent du désir des femmes et de ce qu’elles veulent, de comment elles entament un chemin pour savoir ce qu’elles veulent, des femmes qui pensent à elles d’abord. C’est forcément politique parce qu’à partir du moment où on représente des choses qui ne sont pas assez ou pas du tout représentées par la société, ça devient politique. Mais en soi, il s’agit avant tout de raconter une histoire, une histoire différente parce que racontée avec le prisme d’autres émotions, d’autres imaginaires, d’autres sensations. Cela n’enferme rien mais change nos regards habitués que les films d’hommes soient vus depuis la nuit des temps comme quelque chose d’universel…
Comment décririez-vous Audrey Diwan en tant que réalisatrice et directrice d’acteur ?
Noémie Merlant : Elle aime beaucoup prendre de risques et ça c’est chouette. Elle sait particulièrement filmer avec douceur les femmes et les corps de femmes, avec beaucoup de vérité. C’est quelqu’un qui est très à l’écoute de son équipe, des acteurs, qui cherchent justement à travailler beaucoup en préparation pour que tout le monde soit à l’aise. Donc c’est hyper agréable de travailler dans ces conditions, surtout sur un film comme ça.
Emmanuelle est aussi un film d’atmosphère. Est-ce que le tournage à Hong-Kong, le fait de vivre sur place, vous a aidé à vous plonger dans l’ambiance ?
Noémie Merlant : Oui, parce qu’en fait, on logeait dans l’hôtel où on tournait, donc il y avait une espèce d’ambiance, d’atmosphère très particulière, un peu irréelle, un peu Lost in Translation. Et en même temps, la deuxième partie, quand on part dans le chunking, on avait vraiment l’impression d’être dans un film de Wong Kar-Wai. C’est plus noir, c’est plus sale, c’est plus vrai. Et donc c’était assez hallucinant. On était imprégnés vraiment tous très fort par l’ambiance qui se dégageait des lieux. Je pense que ça a aidé aussi.
Depuis que vous réalisez vous aussi, voyez-vous votre métier différemment ?
Noémie Merlant : Oui, complètement. Jusqu’alors, j’avais l’impression d’être un peu trop centrale. Quand on est comédien, on a l’impression que tout repose un peu sur nos épaules, alors que maintenant, je vois comment on peut rattraper une scène qui a raté, ça rassure. Et puis, il y a la vision globale de la narration, du rythme, du montage, de la mise en scène, je comprends bien mieux les enjeux de chaque poste et cela facilite vraiment les choses.
Quel est votre regard aujourd’hui sur le chemin parcouru ?
Noémie Merlant : Je suis contente, je me dis que j’ai de la chance, alors après il faut aussi que je dise que c’est du travail mais je suis heureuse qu’il y ait autant de gens exceptionnels qui m’aient fait confiance. J’espère que ça va continuer. Je suis très reconnaissante et apaisée d’une certaine manière. Plus on atteint une certaine notoriété ou un niveau de carrière, plus on a la possibilité de faire des choix et de refuser des choses. Portrait de la jeune fille en feu m’a permis de pouvoir faire des choix. Mes priorités sont, non seulement faire des trucs qui m’intéressent et m’amusent mais aussi de faire avancer les choses ou d’avancer sur des réflexions intéressantes avec une prise de risque artistique formelle et même dans le fond. Et j’adore travailler dans d’autres langues. J’ai fait un film en italien, alors que je ne parle pas italien, et j’ai adoré ça. J’adorerais travailler aussi en japonais et en coréen. L’idée de travailler avec d’autres personnes, d’autres cultures, dans d’autres langues que la mienne… Ça m’excite beaucoup aussi.
Photo en Une : Copyright Manuel Moutier