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Miséricorde d’Alain Guiraudie

par | 15 Oct 2024 | CINEMA, z - Milieu

Gare aux morilles 

Le boulanger du village est mort. La foule est sentimentale. C’est l’enterrement du boulanger qui lance le récit et ramène Jérémie (Félix Kysyl), son ancien apprenti, sur ses terres natales, après de longues années d’absence. Un retour (très remarqué) qui rend nerveux Vincent (Jean-Baptiste Durand), le fils du boulanger, qui cherche par tous les moyens à faire déguerpir fissa Jérémie, que sa mère (Catherine Frot) loge gracieusement. Mais Jérémie ne semble pas vouloir repartir. Entre les deux anciens camarades, un contentieux couve, et on tient-là le point de départ de ce thriller pastoral aux faux-airs de Théorème, qui s’inspire autant de la sitcom que de la tragédie grecque, et dans lequel les points de tension érotique poussent comme les champignons à l’automne, saison qu’Alain Guiraudie avait très envie de filmer. De drôles d’intrigues secondaires s’agrègent (à la verticale) à l’intrigue principale, donnant à celle-ci encore plus de chair et de sang. Si le désir est l’un des thèmes de prédilection de son cinéma, Alain Guiraudie sonde, avec encore plus de malice qu’à l’accoutumée, ses voies impénétrables dans Miséricorde. Vous ne verrez ici aucune scène de sexe – un véritable défi pour le cinéaste qui aime les représenter dans ce qu’elles ont de plus réalistes et crues (L’Inconnu du lac, Rester vertical). Pourtant, tout est érectile dans ce film plein de brume et de mousse (celle des sous-bois). Même l’abbé du coin (Jacques Develay) n’y résiste pas, s’en confessant dans son propre presbytère. Grave, grotesque, ludique, sensuel, rugueux, Miséricorde est tout à la fois, répondant d’une stylistique singulière et prodigieuse. Rares sont les cinéastes qui arrivent à créer autant d’inconfort avec autant de panache, par la mise en scène, par le découpage, par le jeu des acteurs, par le poids des mots (le titre est éloquent). Alain Guiraudie réussit son coup, signant son film le plus grand public, mais aussi le plus dingue, sur la condition humaine, heureuse et malheureuse, la culpabilité, l’amour et le pardon. Le retour de Jérémie est comme un pavé lancé dans la mare. Ce que le réalisateur observe (soutenu dans son observation par Claire Mathon, la directrice de la photographie), ce sont évidemment les ondes de choc, les réactions en chaîne qui troublent la surface de l’eau – il pleut à grosses gouttes dans Miséricorde – et de la terre, remuée dans ses profondeurs. De quoi donner des suées à Jérémie lorsqu’il déguste avec l’abbé et Martine (la femme du boulanger) une omelette aux morilles, fraichement sorties des sols (alors qu’elles s’y font rares à cette époque de l’année). Des champignons qui ont le goût des pissenlits, mangés par la racine. Divine énigme.

Réalisé par Alain Guiraudie. Avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay, David Alaya … Durée : 1H43. En salles le 16 octobre 2024. 

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