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L’Aventura de Sophie Letourneur

par | 30 Juin 2025 | CINEMA, z - Milieu

Rester vivant

« Il s’y passe tout ». Ce sont par ces mots que Sophie Letourneur conclut ce second volet d’une trilogie italienne dans lequel, deux ans après leur Voyages en Italie, Sophie (Letourneur) et Jean-Phi’ (Philippe Katerine) reprennent la route des vacances en Sardaigne avec les enfants, et s’offrent pour L’Aventura une sélection en ouverture de l’ACID (l’Association du cinéma Indépendant pour sa diffusion) au festival de Cannes en mai dernier. En une simple réplique, Letourneur justifie l’existence de son film, il s’y passe « tout » car le réel y est capturé dans une vérité brute, et sa plus belle trivialité est décuplée par l’omniprésence de la pré-adolescente Claudine (Bérénice Vernet) et de Raoul (Esteban Melero), 3 ans. Portrait d’une famille banale dans laquelle on crie, mange, rit et défèque, le film montre crûment ce que l’on ne voit jamais au cinéma de cette manière-là, offrant un sentiment d’improvisation documentaire quand tout y est parfaitement écrit et structuré. La narration se veut dispositif, comme dans une partie du film précédent, mais la réalisatrice accentue radicalement son système impulsé par Claudine, et L’Aventura s’enregistre et se raconte sans trêve entre le présent et le passé proche. Comment capturer le souvenir instantané, celui qui se fragilise quelques jours plus tard ? Ce rapport à la temporalité, moelle du langage cinématographique de Letourneur depuis La Vie au ranch devient une double matière, le sonore et le visuel sont travaillés ensemble pour ne faire qu’un. Dans ce film joyeux et nihiliste en même temps, le couple comme entité s’efface entièrement derrière la parentalité. Les enfants sont au centre de la cellule familiale, empêchant toute intimité possible entre Sophie et Jean-Phi’, en tension quasi permanente l’un envers l’autre, enfermés dans des cadres fixes comme pour intensifier ce sentiment. Par ce titre, sous influence de celui d’Antonioni, grande œuvre de subversion des codes cinématographiques, Letourneur raconte aussi la complexité du vivant quand la mort nous attend au bout et nous touche inévitablement.

Écrit par Sophie Letourneur et Laetitia Goffi. Réalisé par Sophie Letourneur. Avec Sophie Letourneur, Philippe Katerine, Bérénice Vernet et Esteban Melero. 1h40 – Arizona Distribution – En salles le 2 juillet 2025. 

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