Dedans dehors
Il y a une astuce dans Nino, un petit truc de scénario apparement tout simple et facilement identifiable. Quand Nino, la trentaine ou à peine moins, apprend qu’il est atteint d’un cancer, il perd les clefs de son appartement. Une fois arrivé devant son immeuble, pensant récupérer un double chez le gardien, il trouve porte close – celui-ci est absent. Face à l’impossibilité de retrouver son chez lui, Nino va errer trois jours durant dans un Paris noctambule et volubile, faire des rencontres, aller là où il ne serait peut être pas allé, accepter cet état de désoeuvrement et de flottement qui l’entoure et l’embrasser plutôt que de le fuir. C’est que Nino, prénom du personnage et titre d’un film tout entier dévoué à lui et à son intériorité pudique, est loin d’être figé dans l’état de stupéfaction propre à l’annonce terrible d’une maladie. C’est, au contraire, un film en construction, comme l’est son personnage, en apprentissage dirait-on, pour coller au grand corpus de ces récits de formation et de jeunesse, qui avance comme le grand corps dégingandé de Théodore Pellerin, dans une ville, elle aussi, en perpétuelle transformation.
Revenons-en à ce truc, cette astuce. Dans bien des films, cet artifice de scénario, qui consiste à maintenir son personnage à l’extérieur de son cocon, en somme à le pousser hors de sa zone de confort et dans des retranchements inattendus, aurait pu paraître artificiel, scolaire ou appliqué. Chez Pauline Loquès, qui après s’être intéressée à un enterrement de vie de jeune fille dans La vie de jeune fille (court qui démontait avec malice les stéréotypes de genre) regarde désormais la vie d’un jeune homme, il n’en est rien. La cinéaste et scénariste, journaliste de formation, tire au contraire de cette ruse d’écriture une sorte de connivence entre son personnage et nous spectateur.ice.s. C’est un pacte de croyance un peu naïf : s’il l’on veut bien croire à l’impensable (la maladie), croyons à tout. Le contrat passé, nous savons que c’est de cet aveu de fabrication et de la fausseté de cette mise en scène (des clefs miraculeusement évaporées) que naîtra ce “vrai” qui irrigue le film, cette grande respiration réaliste qui fait son empreinte, son authenticité et à laquelle le naturel évident (et désarmant) de Théodore Pellerin doit beaucoup.
En enfermant ainsi son personnage dehors, Pauline Loquès l’oblige à vivre quand la mort voudrait l’empêcher. Mais le film, inspiré de l’histoire intime de la cinéaste, du chagrin et de la colère suscités par la perte d’un proche, va au delà de l’évidence de cette équation attendue entre récit de mort et pulsions de vie. La vie est loin d’être merveilleuse dans Nino, elle est même parfois un peu fade ou monotone, grise comme un ciel d’automne, décevante, violente, belle dans sa banalité, mais il lui arrive aussi d’être sublime. Nino se balance avec grâce et délicatesse à travers ce spectre qui va de l’ordinaire à l’extraordinaire, de l’ennui au ravissement. S’arranger avec la vie, avec le vrai, Pauline Loquès le fait en faisant du cinéma, Nino le fait en cachant à moitié et à certains de ses proches la vérité de ce qui lui arrive. Et c’est un talent plutôt qu’une tare nous dit Nino que d’envisager ces faux-semblants et ces petits arrangements avec la vie comme une ligne de conduite morale tout à fait honorable, comme le signe qu’on est enfin, peut-être, parvenu à devenir le personnage principal de sa propre existence.
Nino, réalisé par Pauline Loquès. Avec Théodore Pellerin, Salomé Dewaels, William Lebghil, Jeanne Balibar… Durée : 1H37. En salles le 17 septembre 2025.


