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Salif Cissé, acteur coup de coeur (Météors)

par | 7 Oct 2025 | Reportage, z - 1er carre droite

« J’ai toujours été le gentil, celui qui fait l’effort qui se tait, qui écoute. Je suis fatigué d’être gentil»

Ce n’est pas tout à fait Salif Cissé qui le dit, mais son personnage dans Je suis venu te chercher, pièce de Claire Lasne Darceuil jouée au TNS en avril dernier. « Elle (la metteuse en scène, Ndlr) me connait très bien » s’amuse le comédien, comme pour valider ce qui se cache, à peine, derrière la phrase à l’élan révolté.

La réplique n’a en effet rien d’hasardeux si l’on se penche sur la filmographie de Salif Cissé, 32 ans, que l’on rencontre une matinée de septembre dans le 10eme arrondissement de Paris. Le natif de Saint-Denis est arrivé au théâtre, puis au cinéma, sur un coup de tête, ou plutôt coup de coeur. Un coeur amoché qu’il fallait vite rafistoler : « C’est venu un peu comme ça. Au lycée, il y avait plusieurs options. Je crois que j’étais en pleine rupture amoureuse. Dans ces périodes, certaines personnes se coupent les cheveux, d’autres se font des teintures… Moi j’ai choisi le théâtre. C’était une forme de rébellion par rapport au lieu d’où je venais, de banlieue. J’ai aimé tout de suite. Tout d’un coup, j’oubliais tout, j’étais heureux. »

Le Répondeur – Fabienne Godet

Encouragé par ses camarades et par Anis Rhali, comédien, scénariste et réalisateur chargé de l’atelier, et depuis ami fidèle, Salif Cissé continue, comme on pratique un sport en parallèle du lycée. Sans trop projeter sur un métier à des années lumières de ce qu’il connait. Parenthèse significative : Anis Rhali et lui-même ont co-animé jusqu’à peu Moins de10K sur le Mouv, émission d’actu musicale défricheuse – et il y aurait beaucoup à dire sur la voix grave et enveloppante du comédien – sans doute que Fabienne Godet y a nettement songé en lui confiant le rôle d’un imitateur chargé de répondre au téléphone d’un romancier célèbre dans Le Répondeur.

Depuis son éblouissante révélation dans À l’abordage de Guillaume Brac, comédie buissonnière et estivale dans lequel l’acteur donnait à cette figure plutôt américaine de galérien sentimental un brin bigleux une vibration profonde et mélancolique. Il est vrai que Salif Cissé a beaucoup joué aux gentils, aux doux. Ou en tout cas, à celui qui prend soin, qui écoute, qui soigne. Pharmacien dans Frère et soeur d’Arnaud Desplechin, interne en médecine dans L’Amour et les forêts de Valérie Donzelli, et bientôt expert psychiatre dans Love me tender d’Anna Cazenave Cambet (sortie le 10 décembre prochain).

Le motif est bel est bien là, central, récurent : « Je me rappelle l’entrain avec lequel Valérie Donzelli voulait absolument que je joue son personnage d’interne et me disait que l’héroïne avait besoin de quelqu’un avec qui elle pouvait enfin respirer, de ne pas faire partie des hommes lui ont fait du mal. Ça semblait très important pour elle. J’ai réalisé en voyant le film qu’effectivement il y avait quelque chose à cet endroit, cinématographiquement parlant, quelque chose dans le “care”, quelque chose de solaire» raconte cet ancien élève du conservatoire, où lui-même n’a pas toujours bénéficié d’un tel traitement. « Nous étions seulement trois personnes noires avec Eric Nantchouang et Deborah Lukumuena. Aujourdhui, ça a beaucoup changé, ça sest ouvert, mais à l’époque ça résistait encore un peu. En 2020 dans notre promo, ça a un peu explosé : les questions sociétales se sont importées dans l’école, certaines personnes navaient pas conscience de leur biais, de leur privilège ni de leur racisme latent, ça a tendu pas mal les rapports», raconte-il, retenant malgré tout « une expérience humaine très forte et stimulante ».

Salif Cissé, force tranquille à la Forest Whitaker – auquel on l’a beaucoup comparé à une période où lui ne jurait que par la coolitude d’un Denzel Washington -, a souvent les mots justes. Maniant la gymnastique de l’interview avec aisance naturelle mais aussi réserve comme une politesse faite à l’endroit d’un exercice qui consiste essentiellement à parler de soi, Salif Cissé ajoute  : « On m’a souvent dit que mes personnages ne s’inscrivaient pas dans une masculinité classique. Ce n’est pas quelque chose que je calcule mais il est vrai que je n’aborde jamais non plus mes personnages sous un angle viril. Ça ne m’a jamais intéressé» Si ce féru de séries concède vouloir étreindre l’image positive qu’on projette sur lui, avec cette générosité curieuse qui semble faire partie de ses traits, il se méfie aussi de l’effet camisole : « C’est vrai que pour un jeune comédien qui veut jouer des rôles avec une certaine altérité, quand on est mis à cette place là, on a un peu peur pour sa survie et pour la diversité de son métier»

Météros – Hubert Charuel

Cette peur de l’ennui, cette crainte de ne jouer que les éternels “adulescents”, tout ça s’est depuis peu dissipé et son rôle dans Météors n’y est pas pour rien. Dans le deuxième long métrage d’Hubert Charuel (en collaboration avec Claude Le Pape), Salif Cissé incarne Tony, père de famille, chef d’entreprise dans le BTP, sérieux, solide et seul rescapé adulte de sa bande d’amis de garçons-enfants un peu paumés (Idir Azougli et Paul Kircher). Avec Météors, non seulement Salif a vieilli, mais il est aussi allé vers un univers plus dramatique encore inexploré. Quand on l’interroge sur un rôle rêvé, c’est d’ailleurs davantage à un genre qu’il se met à songer : film d’espionnage, film politique, pas loin d’Eric Rochant qu’il admire, ou pourquoi pas d’un film comme Fils de de Carlos Abascal Peiro, qu’il a récemment vu et aimé en salle. Autres aspirations du comédien : réaliser. Il l’a d’ailleurs déjà fait, avec un premier court surprenant, Alliés qui aborde la question du transracialisme. Il compte bien réitérer l’expérience, mettre en images toutes ces histoires qui se bousculent et s’écrivent dans sa tête.

La suite pour lui est déjà riche – organiser cette fenêtre d’entretien était comme se faufiler à travers les gouttes d’un emploi du temps bien chargé. En ce moment, l’acteur est à nouveau au théâtre, berceau essentiel pour lui, sans lequel il s’éteint, dans Barber Shop Chroniques, adaptation francophone d’une pièce d’Inua Ellams par Junior Mthombeni et Michael De Cock « qui parle des masculinités noires, de la difficulté q’ont certaines personnes noires à parler de l’intime, de la psychologie, de la santé mentale». Avant de le retrouver, bientôt, à l’affiche de Frangin frangine, premier long de Julie-Anne Roth avec Camille Rytherford et Panayotis Pascot.

Actuellement à l’affiche de Météors, deuxième long métrage d’Hubert Charuel. 

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