Après L’Attente, court métrage récompensé aux César en 2024, Alice Douard poursuit son récit du couple et de la maternité dans son premier long métrage Des preuves d’amour. Elle raconte le quotidien intime de deux femmes, la fin de grossesse pour l’une et le parcours d’adoption pour l’autre. Un film qui touche au cœur et répond à une image de cinéma manquante. Rencontre avec la réalisatrice.
Vous vous êtes inspirée de votre histoire personnelle pour écrire Des preuve d’amour et, en même temps, il s’inscrit dans le prolongement de votre court métrage, L’Attente, qui racontait les dernières heures à la maternité d’un couple de femmes. Quelle a été la genèse de ce premier long métrage ?
Alice Douard : Ce n’était pas tant de traiter un sujet personnel. En fait, je n’avais jamais vu ce film en tant que spectatrice et ça m’a manqué quand je vivais ma propre maternité. J’ai commencé à écrire les deux films en parallèle. Il y avait d’abord la volonté de montrer ce dernier moment à deux avant d’être trois par le court métrage. Et puis, dans une forme plus longue, d’écrire un récit plus juridique, politique, mais aussi une histoire d’amour. J’ai été guidée par l’envie de faire un film où on remet l’amour au centre de la famille. Cette famille a été beaucoup caricaturée au moment des Manif pour tous. Le projet était donc de proposer une image qui n’a pas été montrée, avec une forme de vérité, même s’il y a évidemment autant de famille que de gens. Je voulais faire une proposition très simple et loin des fantasmes.
Pouvez-nous parler de l’écriture ?
Alice Douard : Là, je suis d’abord partie de mon histoire personnelle. Puis, j’ai rencontré plusieurs couples de femmes qui ont des enfants, dont certaines sont séparées maintenant, d’autres qui avaient fait famille avant la loi Taubira, donc hors d’un cadre légal, et d’autres encore qui avaient eu un enfant plus récemment et facilement. Je me suis nourrie de toutes ces histoires. Et ce qui était au cœur de tous ces récits, c’était comment le cadre juridique empêche de vivre une première maternité, le fait d’être parent pour la première fois dans ce que ça a d’inquiétant et de beau. D’une situation extrêmement spécifique, je suis allée vers ce qu’il y a de plus banal, la situation d’un couple qui attend un enfant. Plus le film avance, plus les hommes peuvent, je crois, s’identifier et de n’importe quelle génération en plus ! L’universalité était au centre de mon écriture. Un des grands enjeux à mes yeux était également l’accueil par la communauté lesbienne. J’avais besoin que l’on soit bien représentées. Il est très bien accueilli grâce à cette proposition de banalisation si je puis-dire.
J’ai été guidée par l’envie de faire un film où on remet l’amour au centre de la famille
Cette idée d’universalité était déjà présente dans L’Attente. Il y avait cette très jolie scène de dialogues avec un futur père joué dans le court métrage par Julien Gaspar-Oliveri, reprise ici quasi mot pour mot avec Félix Kysyl…
Alice Douard : J’ai repris cette scène parce que le genre s’efface dans l’expérience commune. C’est-à-dire que, contrairement à ce garçon, le personnage de Céline (Ella Rumpf, Ndlr) aurait pu être enceinte… Par contre, ils ont exactement la même place et donc tous leurs questionnements sont les mêmes. On ne fait pas assez dialoguer les hommes et les femmes en général, et surtout sur ces questions-là. Notamment chez les hommes, il y a quelque chose de viril à devenir bientôt papa alors que c’est une zone de fragilité peu montrée.
La tonalité parfois comique du film est-elle arrivée naturellement dans l’écriture ?
Alice Douard : Il y a toujours un peu d’humour dans mes court métrages. J’avais envie de pousser le curseur dans le long métrage parce que, en tant que spectatrice, j’aime les comédies. Je pense que le rire est fédérateur et surtout pour des sujets qui peuvent parfois sembler un peu délicats. Je ne voulais pas aller dans le drame mais, au contraire, nous élever un peu de la situation et que les gens sortent du film en étant bien. C’est ce qu’il y a de plus dur d’écrire de la comédie, mais j’en avais très envie.
Comment avez travaillez avec les comédiennes et comédiens du film, qui sont tous fantastiques ?
Alice Douard : On a commencé par faire des lectures à plat, pour que les dialogues sonnent bien. On a changé ensemble tous les mots et répliques qui ne fonctionnaient pas. Et puis, après, c’est le jeu au plateau, le rythme interne qui se trouve en jouant et, enfin, par le montage. Il y a plusieurs couches d’écriture. Je suis contente, car tous les acteurs et actrices qui sont venus, parfois pour une seule scène, se sont tous prêtés au jeu. Je savais qu’ils pouvaient révéler un potentiel comique.
On peut remarquer la présence importante d’actrices et acteurs qui sont aussi cinéastes : Monia Chokri, Noémie Lvovsky, Julien Gaspar-Oliveri, Jeanne Herry, Emilie Brisavoine, Aude Pépin… Est-ce que c’était un choix conscient ?
Alice Douard : Ce sont des gens que j’avais envie de filmer. C’est vrai que la plupart sont aussi réalisateurs ou réalisatrices. Mais il n’y a aucune volonté d’avoir des cinéastes sur un plateau, c’est vraiment le hasard !
Est-ce que travailler avec des comédiens qui ont l’habitude de diriger d’autres comédiens apporte autre chose sur un tournage ?
Alice Douard : En tout cas, il y a une forme de connaissance du plateau et des métiers de chacun et une camaraderie dans le travail que je trouve agréable. Après ils ont aussi plus conscience des choses donc il y a du pour et du contre à cette situation.
C’est ce qu’il y a de plus dur d’écrire de la comédie, mais j’en avais très envie.
Ella Rumpf et Monia Chokri font des étincelles à l’écran. Vous avez écrit pour elles ?
Alice Douard : Concernant Ella Rumpf, oui, je pensais à elle pendant que j’écrivais. Je l’avais vue il y a quelques années dans Grave de Julia Ducournau et elle m’a fait forte impression. J’ai tout de suite eu envie de tourner avec elle. Pour le rôle de Céline, je voulais vraiment que ce soit elle qui le tienne. Elle a mis un peu de temps à me dire oui, mais ensuite elle s’est engagée à 1000 %. Ce n’est que quand Ella a accepté le rôle de Céline que je me suis mise en quête de sa moitié, Nadia. J’avais envie de créer un couple de cinéma un peu singulier. Monia Chokri correspond à cette image que j’avais en tête. Elle a quelque chose de très contemporain, de physique aussi. Ella et Monia sont très différentes l’une de l’autre et, pourtant, on croit à leur couple. Et, ma chance, c’était aussi qu’elles avaient super envie de bosser ensemble !
La musique tient une grande place dans le film. Elle est une forme de lien maternel entre Céline, qui est ingénieure du son et DJ, et sa mère, incarnée par Noémie Lvovsky, qui est une célèbre pianiste …
Alice Douard : Ça faisait un moment déjà que j’avais envie de filmer une femme pianiste. C’est très beau de filmer les gens au travail en général, encore plus quand ils ont un instrument de musique entre les mains. Mère et fille sont un peu en rupture affective, mais elles font en effet le même métier, elles font toutes les deux de la musique. Il y a donc un héritage pour Céline qui est indéniable. Même si le film est très dialogué, il y a ce lien invisible dans le rythme et la mélodie qui se tisse entre Céline et sa mère. Noémie Lvovsky a énormément bossé pour que l’on croit à ce personnage de concertiste renommée. Avec Ella Rumpf, nous sommes allées ensemble à plusieurs soirées, pour regarder des filles mixer. Je lui montrais ce que je voulais voir dans le film. Elle a aussi eu des formations de DJ, car il existe 1000 façons de mixer – comme de jouer du piano d’ailleurs. J’aime la concentration des musiciens et c’est ça qu’on a cherché ensemble.
Votre mise en scène est très contrastée, entre des scènes en apesanteur et d’autres plus véloces. Comment avez-vous travaillé autour de cette intention-là ?
Alice Douard : J’aime bien les arythmies en général, alterner des plans à l’épaule avec des plans fixes, varier les échelles de plans, changer les rythmes au montage. C’est ce qui fait l’originalité des scènes qui avancent et c’est aussi le rapport entre le dialogue et le silence. Le film porte aussi sur les creux, les silences et le hors champ. Le bébé étant le plus gros hors champ du film. Ce sont des motifs que l’on a travaillés avec Jacques Girault, le chef opérateur. Je souhaitais que le film soit comme un train en marche vers le non-évènement du scénario, la naissance à la fin du film. Je tenais à ce sentiment de vitesse, d’accélération. C’est pour ça que j’ai aussi écrit des scènes dans les métros ou les bus pour créer ce sentiment de mouvement. Le bébé va arriver, donc le film doit se diriger vers cela. Quand Ella m’a demandé qui était son personnage, je lui ai répondu : « Ton personnage ne s’assoit pas ». Elle est souvent debout. Par exemple, quand elle parle avec sa mère, elle reste debout. Ça se joue sur ce genre de détails.
Le film porte aussi sur les creux, les silences et le hors champ.
Toujours sur la mise en scène, la photographie a des teintes bleutées. Est-ce qu’il y a là une symbolique particulière ?
Alice Douard : Oui, il y a beaucoup de bleus et de rouges. C’est par goût. J’avais confié à Jacques Girault que je voulais une image un peu métallique. J’aime bien les brillances et le côté métal/béton. On a cherché ça aussi pour les décors, pendant les repérages. Et ensuite à l’image, on a trouvé une façon d’éclairer ces matières, ces décors et les corps, afin que la lumière rebondisse sur les actrices et les acteurs comme sur les autres surfaces. Je voulais aussi que l’image est l’allure du souvenir, comme si on prenait une photo avec un vieux Kodak et qu’on y mettait le flash. Ça venait en contradiction avec le numérique de 2013-2014 (années durant lesquelles l’action du film se situe, Ndlr). Je trouvais ça affreux. 2013, c’est le début de la grande ère numérique, c’est moche et plat. Nous sommes allés chercher plus loin, les références sont plutôt des années 90-2000. Ça se remarque aussi dans le choix des costumes des costumes aux choix des couleur. Limage du film ressemble un peu à celle des films que je voyais quand j’étais enfant et ado.
Ça donne au film un grain et un parfum atemporel.
Alice Douard : Oui, le film se déroule en 2013 mais aurait pu se passer avant ou après. D’un côté, la date s’affiche à l’écran, mais de l’autre, ce n’est pas non plus un film d’époque. C’est un film contemporain qui le sera encore contemporain dans quelques années. Des couples qui ont fait un enfant dans les années 2000 pourraient s’y reconnaître aussi.
Vous disiez vouloir combler une image manquante. Mais aviez-vous en tête des références et peut-être dans le cinéma lesbien ?
Alice Douard : J’aime beaucoup le cinéma de Christophe Honoré. Il fait partie de mes références sur la manière de filmer les gens et les dialogues. Les films de Kore-eda ont été une grande inspiration aussi pour les sur-cadrages, et aussi pour la question de faire famille, toujours au cœur de ses récits. Il y avait Thelma et Louise, comme référence pour le duo d’actrices, ainsi que la question de la vitesse et du mouvement. C’est un mélange.
Finalement, Des preuves d’amour essaie de répondre à la question : c’est quoi être une mère, non ?
Alice Douard : Oui et surtout comment on le théorise quand on a pas encore d’enfant et comment à l’épreuve d’un enfant on fera bien ce qu’on peut car c’est toujours comme cela. Ce que j’aime bien avec l’histoire du dossier d’adoption, le personnage de Céline est placé sous les regards de ses amis et de la justice. Mais en réalité, attendre un enfant, c’est être regardé. Il y a, dans la société, une injonction à réussir sa maternité. Toutes les femmes peuvent se reconnaître dans le film et dans les questions qu’il soulève. Le personnage de Noémie Lvovsky ouvre aussi à des questions autour du travail et de la carrière : qu’est-ce qu’on sacrifie ou pas pour un enfant ?
D’ailleurs, c’est un personnage singulier, une figure peu vue au cinéma, celui d’une mère qui assume complètement d’avoir préféré sa carrière à une présence auprès de sa fille, sans être un personnage toxique pour autant… Elle est plutôt perdue, dans son monde à elle.
Alice Douard : Il me semble que c’est le cas dans Talons aiguilles d’Almodovar, avec Victoria Abril… Mais c’est vrai que, souvent, ce sont des figures de mères toxiques et là ce n’est pas le cas en effet. C’est une mère qui a fait un choix, mais qui aime son enfant, et d’ailleurs le film se termine sur une déclaration d’amour de cette mère à sa fille. Il existe des mères complexes, multi-facettes, et c’est très beau. Maintenant que je suis maman, je peux dire que j’ai mis un peu de moi dans ce personnage. C’est très difficile d’être à la bonne place, de montrer à son enfant que l’on fait des choses et en même temps d’être là pour lui. Je trouve que les mères sont des héroïnes !
Écrit et réalisé par Alice Douard. Avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémie Lvovsky… 1h37. Tandem. En salles le 19 novembre 2025.



