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Rencontre avec Hélène Rosselet-Ruiz, lauréate du Prix aide à la création de la Fondation Gan pour le cinéma

par | 11 Déc 2025 | Interview, z- 1er carré gauche

Alors que La Fondation Gan s’apprête à fêter ses 40 ans avec une nouvelle identité visuelle signée Ugo Bienvenu (lauréat 2023 pour Arco), Hélène Rosselet-Ruiz est lauréate du Prix aide à la création dont le jury était présidé par Frédéric Farrucci (Le Mohican). Entre le tournage et le montage, la réalisatrice de Ibiza, des Mains sales, passée par la Fémis, s’est confiée sur son premier long métrage, Le Triangle d’or (produit par Marie-Ange Luciani, Les Films de Pierre) – l’histoire d’une rencontre entre Laura (Malou Khebizi) embauchée comme femme de ménage et son employeuse, une riche Saoudienne (Soundos Mosbah), dans un appartement du XVIe arrondissement. Rencontre.

Le Triangle d’or, dont vous venez tout juste de terminer le tournage, est votre premier long-métrage. Quelle importance a pour vous ce Prix d’aide à la création de la Fondation Gan pour le cinéma ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : Il y a beaucoup de premier films que j’aime qui ont été lauréats, donc c’est flatteur et encourageant de s’inscrire dans leurs pas. Puis, quand le prix est arrivé, nous étions en préparation du film, le tournage avait été décalé, nous galérions en repérages et se posait la question de comment faire ce film avec nos moyens… Le prix est venu redonner un petit élan à cet endroit-là et ça, c’est précieux ! Par ailleurs, c’était un échange riche avec les membres du jury, comme une discussion autour du film. Ils ont pointé des choses que je n’aurais pas formulées ainsi. C’est porteur pour avancer ! 

Vous aviez réalisé plusieurs court métrages. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : Mon parcours est lié à celui de ma sœur (sa sœur jumelle, l’actrice et réalisatrice Marie Rosselet-Ruiz, ndlr). Nous voulions toutes les deux devenir comédiennes alors nous avons étudié dans une école de théâtre privée. Petit à petit, nous nous posions des questions de mise en scène et nous voulions raconter des histoires. Après ça a pris du temps d’aller vers l’écriture et la réalisation. Mais grâce à des dispositifs comme des tremplins d’égalité des chances, notamment Talents en Court et la prépa de la Fondation Culture & Diversité. J’avais 24 ans quand j’en ai entendu parler à la radio. En parallèle, nous réalisions des courts métrages en auto-production et répondions à des appels à projets de scénario. J’ai eu un prix de scénario à Valence en 2015 pour un premier projet de long métrage puis j’ai raté une première fois le concours de la Fémis pendant que ma sœur est rentrée à la résidence, le programme en un an de la Fémis. Il me restait une chance pour la Fémis car j’allais avoir 27 ans. En même temps, j’avais un projet de documentaire produit qui était en tournage l’été. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre, que peut-être je ferais des films quand même. Je pense que ça a libéré quelque chose. Je suis rentrée à la Fémis en réalisation. J’ai quand même continué de réaliser des films en auto-production avec ma sœur l’été. Ensemble, ce sont plutôt des comédies dramatiques qu’on fait, alors que chacune de notre côté, on réalise plutôt des drames. Peut-être parce que la comédie est plus difficile à écrire et qu’à deux c’est plus simple et ludique !

Le Triangle d’or est un prolongement de votre court métrage, Les Mains sales. L’envie d’en faire un long préexistait-elle ? Comment avec-vous rencontré votre productrice, Marie-Ange Luciani (Les Films de Pierre : Robin Campillo, Justine Triet…)  ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : J’ai moi-même fait des ménages chez des Saoudiens avenue Foch, chez une femme qui n’était pas l’épouse d’un prince saoudien, à un moment où j’avais besoin d’argent. Il y a beaucoup de choses qui m’avaient marquées dans cette expérience de travail, et j’avais le désir d’en faire probablement un film un jour, mais je ne savais pas par quel bout prendre la chose. Quand j’ai rencontré Marie-Ange Luciani au début de ma troisième année à la Fémis, elle m’a demandé si j’avais des envies de films et je lui ai parlé de celle-ci. Mais je ne savais pas encore comment faire rentrer cette histoire dans un projet court. Quel événement précis choisir pour un format de 20 minutes ? Elle m’a encouragée et Les Mains sales est né alors qu’il y avait une envie de récit plus vaste. À la sortie de la Fémis, Marie-Ange m’a dit qu’elle était prête à m’accompagner si je voulais prolonger le travail et la réflexion. Il a fallu re-déconstruire pour trouver la matière pour un long métrage. Mais je n’ai pas réfléchi longtemps car je savais ce qui me passionnait et il y a eu tout un travail de recherches documentaire. C’était hyper excitant pour moi même si ce n’était pas le projet de premier long que j’avais imaginé. 

Avez-vous conservé des éléments du court métrage comme séquence du long ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : L’incursion soudaine d’hommes de la famille est présente dans le long métrage et c’est l’élément qui vient précipiter la fin du film. Sinon, le film suit le personnage de Laura à partir de l’embauche et permet de s’intéresser aux questions du travail et de la violence de classes, qui sont beaucoup plus présentes. Le film permet à un endroit la possibilité d’une rencontre entre ces deux femmes. 

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette rencontre ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : Le film est une fiction, mais il est quand même documenté et s’inscrit à partir de mon expérience. Malgré tout ce que je pouvais ressentir de sentiment contrasté vis-à-vis de cette femme pour qui j’ai travaillé – elle avait quasiment mon âge. On aurait pu avoir le même look et être amies. Mais nos vies étaient différentes et ça pointait la violence d’être une femme, particulièrement pour elle, mais aussi pour moi. Avant ça, je n’avais pas conscientisé car j’ai grandi dans un milieu populaire et je ne voyais que la question sociale. Je ne m’étais jamais identifiée comme femme en me disant que ça avait eu un incident sur mon parcours. Travailler pour cette femme a fait émerger cette question-là de manière assez inattendue. Par exemple dans son hyper féminité, ça questionnait des choses chez moi. J’avais été une ado qui portait des mini jupes et des talons pour aller au lycée, puis je me suis habillée plutôt comme un mec. Il y avait un truc intéressant à aller creuser là-dedans.

Vous avez co-écrit le scénario avec Pauline Guéna (autrice du livre qui a inspiré La Nuit du 12 à Dominik Moll et Gilles Marchand, ndlr), comment s’est fait cette collaboration ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : Tout simplement parce qu’on a la même agent et par La Nuit du 12, elle connaissait Gilles Marchand, avec qui Marie-Ange Luciani travaille aussi. On m’a proposé de rencontrer d’autres scénaristes mais je me suis sentie tout de suite à l’aise humainement avec Pauline Guéna, et c’était important comme le processus de recherches et d’écriture allait être long. Elle travaille de manière documentaire, elle a fait beaucoup d’immersions, c’était précieux pour moi, puisque le film était tiré d’une expérience personnelle, j’avais envie de ce rapport au réel. Pauline a une bien plus grande expérience de l’écriture que moi, mais elle n’a pas non plus écrit beaucoup de longs métrages. Il y avait un sentiment d’une première fois pour nous deux. Elle apportait une gymnastique d’écriture que moi je n’avais pas et, en même temps, sans épouser une méthode précise. Nous avancions ensemble. Elle a toujours été un relais essentiel.

Au casting, on retrouve Malou Khebizi, qui a été révélée dans Diamant brut d’Agathe Riedinger, et Soundos Mosbah. Pouvez-vous parler de ces comédiennes ? 

Hélène Rosselet-Ruiz  : Au départ, je crois que j’étais passée un peu à côté de Malou Khebizi pendant les essais. Puis, finalement, on a refait une séance de travail et, à partir de là, c’est devenu évident. Le personnage lui parlait et elle a été une vraie partenaire sur le film. C’est une actrice d’une intelligence rare. Elle a les pieds sur terre et a déjà travaillé, elle comprenait le personnage, elle lui a apporté des choses, comme ce côté très solaire que le personnage n’avait pas à la base. On a fait un stage de survie ensemble pour préparer le film, c’était un moment mémorable qui je pense nous a soudées. Malou a  aussi suivi une préparation physique avec un coach dans une salle de sport. Et j’avais déjà trouvé Soundos Mosbah pour jouer Souria. Elles se sont rapidement bien entendues. Le risque contre lequel j’ai travaillé au tournage, c’était que leur complicité dans la vie n’assagisse pas les rapports dans le film. Ce n’était pas évident pour elles. J’essayais de préserver le conflit qui sous-tend même dans les scènes les plus légères.

Quelles sont les références cinématographiques qui vous ont accompagnée pour ce premier long ? 

Hélène Rosselet-Ruiz : J’admire le travail de Rabah Ameur-Zaïmeche et son regard humaniste. J’apprécie aussi beaucoup les films d’Andrea Arnold même si aujourd’hui je les revois avec un autre regard notamment sur la question des personnages féminins. Mais j’ai revu Red Road avant de faire le film. Après, je peux citer Douglas Sirk évidemment… Ou le film tunisien Les Silences du palais, qui m’a aussi accompagnée dans l’écriture. Je n’ai pas de cinéaste fétiche. 

Comment vous sentez-vous avant d’aborder le montage et la post-production ?

Hélène Rosselet-Ruiz : J’ai l’impression d’être encore un au pied de la montagne comme avant le tournage. À la fois, je me réjouis et en même temps j’ai peur, mais c’est bien de ressentir les deux en même temps !

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