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L’Engloutie de Louise Hémon

par | 24 Déc 2025 | CINEMA, z - Milieu

Aimée dans la montagne

Il fallait entendre la fin de l’année et l’arrivée de l’hiver pour se laisser surprendre par un premier long métrage enneigé au regard singulier, signé par une réalisatrice venue du documentaire et du film d’art vidéo, Louise Hémon. Quasi ethnographique dans son approche, L’Engloutie s’inspire dans un premier temps des récits familiaux de la réalisatrice – issue d’une génération d’institutrices missionnées pour « civiliser » des territoires ruraux à la fin XIXème siècle et au début du suivant. Le film se base entre autre sur un récit anthropologique rédigé par une aïeule racontant les traditions ancestrales d’un village isolé. Par une belle journée d’hiver à la fin de l’année 1899, à l’aube donc du XXème siècle, Mademoiselle Aimée Lazar, jeune institutrice républicaine, débarque dans un hameau alpin reculé dans lequel demeurent hommes, enfants, vieilles et vieillards tandis que les mères travaillent tout l’hiver comme domestiques chez les bourgeois de la vallée. Aimée est bien décidée à apprendre le français, la géographie et l’hygiène aux petits confinés dans le folklore ancestral raconté au coin du feu en patois occitan. Co-écrit avec Anaïs Tellenne, qui explorait également le conte dans son premier film L’Homme d’argile, Louise Hémon immerge ce personnage de jeune femme sachante incarné par l’hypnotique Galatea Bellugi (déjà ensorcelante dans L’Apparition de Giannoli ou Tralala des frères Larrieu) en corps étranger dans un univers clos, menacé qui plus est par les avalanches. Qui dit femme en position de pouvoir dit danger. Et quand les garçons Pépin et Enoch (Samuel Kircher et Matthieu Lucci) se prélassent sur un rocher au soleil ou se retrouvent à deux dans une grotte hors du champ de l’héroïne (cependant cachée pour les écouter), le film se meut en brumeux mystère – le trouble sensuel et l’exploration du désir féminin habitant chaque image, également hantée par la mort, menaçante, au loin. Des sentiments renforcés par la musique envoûtante d’Émile Sornin de Forever Pavot (La Morsure, Simple comme Sylvain) et par la sublime photographie toute en clair-obscur de Marine Atlan (Le Ravissement, Les Reines du drame, Nos Cérémonies), capturant en format 4/3 des nuits américaines naturelles et des miracles offerts par mère nature qui renforcent la fantasmagorie à l’image. Louise Hémon prend une multitude de risques pour ce premier film de fiction dans lequel s’entremêlent le théorique et l’organique, le pittoresque et l’idéal républicain, le naturalisme et le surnaturel, la raison et la croyance, le tout sans cesse mis en danger par la montagne, enveloppante et hostile. Un pari audacieux, mais parfaitement réussi.

Écrit par Louise Hémon et Anaïs Tellenne. Réalisé par Louise Hémon. Avec Galatea Bellugi, Matthieu Lucci, Samuel Kircher, Sharif Andoura… 1h37 – Condor Distribution – En salles le 24 décembre 2025.

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