Du 16 au 23 décembre, FrenchMania enfile ses après-ski à l’occasion de la 9e édition du Festival de Cinéma Européen des Arcs.
Courts métrages en compétition : Les films français
Les enfances terribles
Parmi les 24 courts métrages en compétition, FrenchMania a choisi de faire un focus sur les 5 films français (et coproductions françaises) sélectionnés. La figure de l’enfant est au centre de ces courts métrages, exposée à la violence du monde adulte et du monde tout court, souvent triste, parfois absurde… Tour d’horizon.
Le film franco-belge de Pablo Muñoz Gomez, Kapitalistis, est d’actualité à plus d’un titre. C’est Noël, et le père du petit Nikos, 5 ans, se met en quête d’un deuxième boulot afin de pouvoir lui acheter le cartable de ses rêves. Celui qui était informaticien en Grèce livre des pizzas en Belgique et peine à joindre les deux bouts. Même si le gamin n’est pas dupe et nous gratifie de saillies précocement cyniques décrivant le Père-Noël comme un capitaliste qui « apporte des jouets aux enfants riches et des pulls aux enfants pauvres », la tendresse ne masque pas la dureté du propos malgré le charme indéniable des deux comédiens principaux.
Le plus dur est d’assister à un moment de bascule dans la vie d’un enfant. C’est au programmme de Koropa, le court documentaire de Laura Henno qui suit un petit garçon destiné à faire voyager les clandestins entre les Comores et Mayotte. Au cœur de ce dédale océanique nocturne, le gamin est formé par son mentor devant nos yeux. Laura Henno a embarqué avec le duo, sa caméra sur pied lestée avec des sacs de riz et quelques petites lumières de poche scotchées à un balai, pour observer cette relation étrange entre un passeur et un garçon terrifié qui n’a pas le choix de sa destinée.
Plus théorique et mémoriel, c’est à la problématique de Camille – une jeune femme adoptée enfant qui retrouve à l’âge adulte ses parents génétiques venus de Chine – que nous confronte Ce qui nous éloigne de Hu Wei. Dans ce film où l’action se situe dans un appartement bourgeois, ce sont les incompréhensions et les différences culturelles qui se font jour et mettent à mal tant les convictions que les émotions. Dur de se retrouver après tant d’année d’absence et de silence.
Côté émotions, le film Ice, coproduction qui réunit l’Estonie, Le Luxembourg et la France, n’est pas en reste puisqu’il nous plonge au cœur d’une relation père-fils. Tout se passe en voiture jusqu’à ce que la situation vire en quelques secondes au drame. Un survival (dans la lignée de La Route de John Hillcoat adapté du livre de Cormac McCarthy, 2009). C’est beau, c’est éprouvant, c’est dur.
La dureté, c’est aussi ce qui peut qualifier cette nouvelle phase de la vie de Marlon, jeune adolescente au cœur du film éponyme de Jessica Palud (interview ci-dessous). Marlon n’a que 14 ans mais elle se sent prête, en tout cas elle l’affirme, à aller rendre visite à sa mère, incarcérée. Là, dans ces lieux où la violence s’exprime de façon brute, directe et inopinée, les choses ne vont pas tout à fait se passer comme prévu. A partir d’un sujet rarement abordé, Jessica Palud tisse un film court maîtrisé, sensible et incarné. Une réalisatrice à suivre comme sa jeune comédienne, Flavie Delangre (photo), éblouissante de justesse et de pudeur dans le rôle-titre. Amis votants, ce film franco-belge est en compétition pour les César ! F.F-M.
“J’avais envie de faire un film sur la famille“, rencontre avec Jessica Palud, réalisatrice de Marlon
Quel a été votre parcours avant de signer ce premier court métrage ?
J.P. : J’étais assistante mise en scène sur des longs métrages, j’ai beaucoup travaillé sur les films de Philippe Lioret, Je vais bien ne t’en fais pas, Welcome ou Toutes nos envies. Et sur des films un peu différents comme Astérix ou Marie-Antoinette de Sofia Coppola.
Comment est née l’histoire de Marlon ?
J.P. : Cela faisait longtemps que j’avais envie de parler du milieu carcéral car un membre de ma famille était en prison et je trouvais intéressant d’adopter le point de vue de la famille. J’avais envie de faire un film sur la famille plus qu’un film de prison, vu de l’intérieur. Je voulais m’intéresser à ce que vivent tous les gens qui sont à l’extérieur et pour qui cela peut être tout aussi dur. Le père de ma mère a été en prison, et je me suis alors inspireé de son point de vue à travers celui de cette gamine de 14 ans. Marlon, dans le film, n’a pas vu sa mère depuis des mois et le juge lui accorde une autorisation de visite. Cela se fait selon les enfants, les comportements des personnes incarcérées ou la gravité des faits. Quand la mère de Marlon a cet accès de violence lors de la visite de sa fille, l’adolescente se rend compte de la dureté de ce qu’elle voit et là, elle le dit, “je ne suis pas prête“. Je tenais à ouvrir le récit avec le dernier plan pour montrer qu’elle allait avancer, mais seule ou différemment.
La jeune Flavie Delangre qui joue cette adolescente un peu mutique est fascinante, comment l’avez-vous rencontrée et dirigée ?
J.P. : J’ai vu une soixantaine de jeunes filles, dont de nombreuses en agence à Paris ou à Bruxelles, et aucune ne correspondait à ce que je cherchais. Celles que j’ai vu jouaient déjà trop, j’avais envie d’une jeune femme qui donne l’impression de tout vivre pour la première fois… On a trouvé Flavie devant le McDonald’s de Reims ! Quand je l’ai vue, j’ai flashé sur elle, physiquement d’abord. Le personnage a très peu de dialogues et il fallait que l’actrice qui l’interprète ait quelque chose de magnétique. Flavie était à l’image du personnage que j’avais imaginé. Les premiers essais n’étaient pas terribles, elle n’était pas forcément juste, mais elle dégageait un truc hypnotisant à la caméra. On a travaillé, elle n’avait pas lu le scénario, je le lui ai juste raconté. On s’est apprivoisées.
Un long métrage est en cours ?
J.P. : Je viens de terminer l’écriture d’un long métrage, Revenir, que Philippe Lioret et Marielle Duigou chez Fin Août vont produire. Il était signé avant que je ne réalise Marlon, mais c’est long de faire un long ! Le film est parti en financement et nou avons commencé le casting depuis 2 semaines. C’est aussi un portrait de famille assez dur mais dans le monde agricole, avec un héros plutôt jeune. L’idée c’est de tourner l’année prochaine.
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira
Photos : Flavie Delangre dans Marlon / Jessica Palud par François Berthier