Dans La Douleur, Mélanie Thierry remporte tous les honneurs. Ce rôle, celui de Marguerite, elle le porte à bras-le-corps. Un rôle dans lequel on n’attendait pas forcément la comédienne. Et pourtant… Sa justesse et son dévouement dans La Douleur sont remarquables.
Quel rapport aviez-vous à Duras avant d’être impliquée dans ce projet ?
Je n’ai pas été une adolescente qui lisait beaucoup, je suis venue à la lecture plus tardivement. Beaucoup de jeunes filles sont amenées à lire du Sagan et du Duras au moment de l’éveil de la sexualité … Moi, j’ai lu Duras plus tard, j’ai commencé par L’Amant vers 20 ans, et j’ai enchaîné avec Un Barrage contre le Pacifique. Il y a peu de livres qu’on est amené à lire plusieurs fois, pourtant je crois avoir lu Un Barrage contre le Pacifique au moins trois fois, à plusieurs moments de ma vie. J’avais parcouru la biographie écrite par Laure Adler de Duras – que j’ai relue quand il m’a fallu connaître Duras un peu mieux. Je me suis remise au contact de l’auteur. Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas tout lu car Duras a beaucoup écrit. La Douleur, je connaissais l’histoire, je connaissais les mots, car j’avais vu l’adaptation au théâtre par Patrice Chéreau avec Dominique Blanc à l’Atelier. C’est troublant parce que, plusieurs fois, des metteurs en scène ont tenté d’adapter La Douleur et j’ai été amenée à passer des auditions pour des projets qui sont tombés à l’eau. C’est toujours difficile à produire un film comme celui-là.
Comment avez-vous réagi à la lecture du scénario ?
D’abord, je dois vous dire combien j’ai adoré travailler avec Emmanuel sur Je ne suis pas un salaud. Je le trouve rare, pur. Et puis je trouve qu’il n’est jamais dans la complaisance. Son cinéma va jusqu’au bout. J’aime profondément ses films et je m’étais dit pendant le tournage de Je ne suis pas un salaud, même si je n’y avais qu’un second rôle, que s’il avait fallu choisir à ce moment là un metteur en scène avec qui travailler à nouveau, ça serait Emmanuel. Je m’interrogeais à cette époque car contrairement à d’autres comédiennes, je n’avais jamais tourné plusieurs fois avec un même metteur en scène. Tu ne peux pas t’empêcher de te remettre en cause, tu te demandes pourquoi tu n’as pas toi-même une relation privilégiée avec un réalisateur, une forme de fidélité artistique. Il n’y a rien de plus beau que de trouver la bonne personne. C’est comme en amour. Je savais qu’Emmanuel écrivait La Douleur et je crois que je n’étais pas une évidence pour lui dans le rôle de Marguerite. Il avait déjà rencontré d’autres comédiennes. En venant au Festival du Cinéma Européen des Arcs pour une projection de Je ne suis pas un salaud, je lui ai demandé où il en était de son casting. On s’est alors dit qu’on pouvait faire une séance de travail ensemble sans que cela n’engage à rien. On a fait une bonne audition. Et du coup, on s’est retrouvé ! La chance de se connaître déjà nous a permis d’aller plus vite, on parle le même langage avec Emmanuel, c’est presque la relation idéale pour un film comme celui-ci. Il n’y avait plus ce truc de vouloir se plaire, on avait dépassé ce stade.
Justement, comment avez-vous travaillé ce personnage, cette Marguerite de La Douleur ?
J’ai eu le temps de la travailler longtemps. De ressentir l’attente aussi parce que Finkiel demande une implication totale. Il ne peut pas se dire qu’on soit moins concerné que lui quand il fait un film, même dans la fabrication du film en lui-même. Cela ne m’était jamais arrivé d’être autant concernée par les questions de financement, de production, de voir ceux qui arrivent sur le film, ceux qui se désistent puis reviennent. C’est très éprouvant. Avant ce film, je n’en avais pas tout à fait conscience. C’était les montagnes russes. Ce film a été très dur à monter, parce que ça coûte cher les films d’époque, de filmer un Paris sous l’occupation. On a décidé de le faire quand même, parfois le tournage s’arrêtait, et on ne savait pas si on allait continuer ou pas. Alors, dans ce cas là, tu attends en te demandant si le jour d’après tu vas remettre ton costume ou si tu pars en vacances (rires) ! L’attente était une donnée avec laquelle il a fallu composer. Et ces moments de suspension m’ont aussi permis de bien préparer le rôle, de me poser les 1000 questions que j’avais à me poser. Je me suis fait accompagner car je ne sais pas travailler seule, surtout dans la phase de préparation. Seule, je suis prise d’un vertige qui me pousse à la paresse et j’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui ont une leur propre discipline, qui font un album ou écrivent un livre. C’est bien de ne dépendre de personne, mais je ne m’en sens pas encore capable. D’autant plus qu’ici, il fallait arriver à aller vers une dimension littéraire.
Il n’était pas question d’imiter Marguerite Duras – Mélanie Thierry
Une dimension littéraire qui passe aussi par le travail de la voix et du corps ?
Oui. Il n’était pas question de singeries. Il n’était pas question d’imiter Marguerite Duras. Emmanuel ne m’aurait pas choisie dans ce cas, car je suis quand même très éloignée d’elle, physiquement j’entends. Je l’ai beaucoup écoutée parler, mais quand elle était déjà Duras, très sophistiquée. Elle était déjà ce personnage qui existe dans l’inconscient collectif, celle de la vieille dame à col roulé. La Duras de 30 ans, on ne l’a jamais vraiment vue. Elle est discrète. Et ce phrasé, ce vagabondage sur les phrases si reconnaissable était un phrasé classique des actrices de cette époque. Je me suis inspirée de celles qui furent ses muses : Bulle Ogier, Madeleine Renaud, Delphine Seyrig, ou Emmanuelle Riva, la voix d’Hiroshima mon amour. Il fallait que la voix vienne de là, sans constituer un carcan pour autant. Et avec le travail de la Steadycam, le corps est en mouvements. Finkiel est un homme inspirant qui vous parle souvent par images, celles qui lui passent par la tête. Pendant une prise, avant ou après, il peut vous parler d’Anna Magnani dans un film de Rossellini, ou une image précise d’Adjani dans Adèle H pour que vous l’ayez en tête, dans les yeux. Il m’a dit une fois “Ne joue pas, je te vois jouer” ! Et j’ai compris alors que j’étais prête à ça, prête à lâcher prise parce que j’étais accompagnée d’un maître absolu avec lequel j’ai une relation merveilleuse. Dans la première partie du film, il fallait montrer cette image de Duras combattive, très vivante, qui joue son va-tout, ce jeu de chat et de souris avec Rabier (Benoit Magimel, Ndlr), et dans la deuxième, jouer sur une présence plus fantomatique, sur la dualité, sur la distanciation avec soi-même et les autres. Marguerite doit faire son deuil tout en se détachant de son mari, c’est très violent. C’est presque intolérable de se détacher de quelqu’un qui est en train de crever…