Avant que tout explose
S’il est natif de Toulouse, Bertrand Mandico aurait tout aussi bien pu venir d’une autre planète. Court-métragiste de génie (les fées cinéma ont été généreuses en se penchant sur son berceau), papa des Garçons sauvages, premier long épique, allégorique et caustique, le cinéaste français revient avec une nouvelle œuvre (35 minutes et des poussières) mettant en scène deux femmes qui se sont aimées. La première, Joy (Elina Löwensohn), est réalisatrice, la seconde, Apocalypse (Pauline Jacquard), est comédienne, héroïne des films mutants de sa partenaire. Le point de départ de cette histoire aux mille et une digressions ? La fin d’un tournage (chaotique). Alors que tout est dans la boîte, Apocalypse dit adieu à Joy : “Lâche-moi, le film est fini. (…) Tu t’es bien servie de moi, maintenant laisse-moi jouer“. Mais de cette romance, aucune des deux femmes ne peut se détacher facilement. Elle a pris possession de leur corps et leur esprit. C’est donc sur un plateau-planète à la fois futuriste et préhistorique que Mandico plante cette histoire d’A qui ne se conjugue plus au temps présent – désormais, elle est au passé, elle est à l’avenir. Du chrome, du coton, des néons, des caméras (panavision), des écrans, de la pierre (volcanique) et des poils qui courent le long du manteau de Joy ou d’un gorille de l’espace aux yeux jaunes perçants, (chef) opérateur… Il s’agit alors de s’abandonner au cinéma de Mandico comme Apocalypse s’abandonne à Joy. De l’ensorcellement par les images (format scope et beauté surréaliste), les mots (scansion musicale des dialogues), les aiguës et les graves des synthés (BO signée Pierre Desprats), et au cœur de la fiction, des motifs existentiels. Le rapport de force entre la réalisatrice et son actrice prolonge la réflexion de Mandico sur celui qui fait rage entre les sexes. Dans Les Garçons sauvages, des adolescents au pénis droit violaient des filles sans impunité, jusqu’à ce qu’un changement d’état s’opère et qu’ils fassent soudain l’expérience du sexe opposé. La force changeait de nature et de camp. L’expression de la domination masculine à travers les violences sexuelles trouve aussi son point d’orgue dans Ultra Pulpe où une jeune femme (Pauline Lorillard) est donnée en pâture – par sa propre mère – à des cosmonautes. Une séquence choc à valeur (psych)analytique qui n’est pas que de la science-fiction. Après l’outrage, la révolution, celle des muses qui s’amusent, comme Cocteau, des hommes tout en muscles et super-pouvoirs imaginés par les américains. “C’est pornographique – Pas plus que toi” souffle Nathalie Richard, tout de noir vêtue, à un vieillard. Éros et Thanatos se sont donnés rendez-vous dans Ultra Pulpe, Lynch, Ernst, Pasolini, Dante, Carpenter, Dali et Lacan aussi. Truffaut avait sa chambre verte, Mandico la peint en rose et bleu. “Embrasse-moi avant que tout explose “dit Joy à Apocalypse. Avant que tout explose, voir ne serait-ce qu’un film de Bertrand Mandico est incontournable…
Ultra Rêve – en salles le 15 août 2018 (trois courts métrages sur grand écran) :
After school knife fight de Caroline Poggi et Jonathan Vinel (21 mn– 16 mm), avec Lucas Doméjean, Nicolas Mias, Pablo Cobo, Marylou Maynie.
Les Îles de Yann Gonzalez (23 mn– 35 mm), avec Sarah-Megan Allouch, Thomas Ducasse, Alphonse Maitrepierre, Mathilde Mennetrier, Romain Merle, Simon Thiébaut.
Ultra pulpe de Bertrand Mandico (38 mn – 35 mm), avec Lola Créton, Pauline Jacquard, Pauline Lorillard, Elina Löwensohn, Anne-Lise Maulon, Vimala Pons, Nathalie Richard et Jean Le Scouarnec.
Ultra Pulpe était en sélection à la Semaine de la Critique 2018 (section court-métrage).