A l’occasion de la sortie en salles du documentaire sur Hedy Lammar (From Extase to Wifi), une des femmes à laquelle elle a choisi de rendre hommage dans son livre 50 Femmes de cinéma (Marest Editeur), nous avons eu envie d’une conversation avec Véronique Le Bris. La journaliste, en pointe sur les débats autour de la place des femmes dans l’industrie du cinéma, a créé le site Ciné-woman et lancé le Prix Alice-Guy qui récompensera chaque année un film réalisé par une femme.
Un documentaire sort cette semaine sur Hedy Lamarr, l’une des femmes célébrées dans votre livre 50 femmes de cinéma. Qu’est-ce qu’elle représente au sein des figures choisies et qu’avez-vous pensé du film ?
Le principe du livre était de réhabiliter ou de faire découvrir 50 femmes de cinéma de grand talent qui ont toutes, à un moment ou un autre de leur vie, déjouer leur destin et qui l’ont fait avec brio, et cela d’autant plus qu’on ne les attendait pas là où elles ont décidé d’aller. Hedy Lamarr, est évidemment une de ces 50 femmes. C’est une actrice qui crée un scandale mondial à 17 ans, parce qu’elle joue nue et simule un orgasme en gros plan, qui se libère de la prison qu’était son mariage pour aller à Hollywood où elle fait une carrière – pas de super star mais une carrière avec de beaux succès – et qui s’en détourne parce qu’elle est très ingénieuse, inventive en créant un système révolutionnaire : il permet tout en restant dans un même faisceau de fréquence, de changer de fréquence de manière aléatoire pour ne pas que le message puisse être intercepté et sert à des fins militaires ou de communication pour télécommander des torpilles ou rendre des conversations téléphoniques privées. Elle est d’ailleurs à ma connaissance un cas quasi unique. Seule Florence Lawrence, une actrice des tout débuts du cinéma américain (avant Hollywood), dans le livre aussi, avait inventé le clignotant (mais son brevet n’a pas été accepté). Celui d’Hedy Lamarr, si. C’est une excellente nouvelle qu’il y ait enfin un documentaire sur cette incroyable Hedy Lamarr ! Et si celui d’Alexandra Dean est doté d’archives exceptionnelles (photos d’elle à Vienne, les fameuses cassettes de sa dernière interview…), il ne parvient pas à résoudre l’énigme que sont sa vie et sa personne. On la disait trop intelligente pour sa beauté. Sans doute, mais elle était sans doute compliquée à comprendre, à saisir. Et personne n’y est parvenu. Et ce documentaire finit par baisser les bras et se perd dans les détails techniques de son invention qui n’ont finalement que peu d’intérêt. Comme si Hedy Lamarr était trop subtile pour tenir dans un seul film… (Ndlr : Lire la critique du film sur Ciné-woman).
Comment avez-vous choisi les femmes qui avaient toute leur place parmi les 50 ?
Il y a déjà longtemps que je souhaitais réhabiliter ces femmes dont les exploits sont inconnus ou oubliés. J’avais par exemple découvert à ma grande stupéfaction que Joan Crawford avait été présente au comité de direction de Pepsi Co. pendant une quinzaine d’années et que c’est en grande partie grâce à elle que cette toute petite marque de soda est devenue un concurrent de Coca Cola dans le monde entier. Mon idée était donc d’aller chercher ce type de destin hors normes. Mais, comme l’histoire même du cinéma a aussi tendance à effacer les talents féminins qui ont pourtant contribué à l’écrire, j’ai construit mon livre en trois parties. D’abord les pionnières, c’est-à-dire celles qui ont été les premières à accomplir quelque chose de remarquable dans ce milieu très masculin. La première c’est Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire, celle qui a inventé la fiction, les films sonores, les gros plans… bref toute la grammaire actuelle du cinéma et la première à diriger un studio de production. On trouve aussi Jane Campion (Première et unique femme a recevoir la Palme D’or), Kathryn Bigelow (Premier et unique Oscar féminin de meilleur réalisatrice), Lotte Reininger, la première européenne à avoir réalisé un long métrage d’animation ou Haïfa Al-Mansour, la première personne à avoir réalisé un long métrage en Arabie Saoudite (alors même que le cinéma y était interdit).
Mais, comme je ne voulais pas faire un livre que de pionnières puisque d’autres femmes de cinéma ont réussi des exploits, j’ai pensé à deux autres profils : d’une part les passionnées, celles qui ont consacré leur vie (ou un moment de leur vie) au cinéma, même si elles ont dû prendre des chemins détournés pour y arriver. Agnès b. qui brille dans le stylisme avant de devenir une productrice pointue et même une réalisatrice ou Marguerite Duras, grand écrivain français, prix Goncourt, mais qui arrête d’écrire pendant 10 ans pour faire du cinéma, Marjane Satrapi, auteure de BD devenue cinéaste ou la musicienne Béatrice Thiriet qui devient compositrice de musique de films ou la réalisatrice espagnole Pilar Miro, l’auteure de la Loi Miro qui a jeté les bases du renouveau du cinéma espagnol. Il fallait donc traiter l’autre versant, celles qui ont été des gloires du cinéma mais ont vécu leur vie, intensément, hors des plateaux de cinéma. C’est Marlène Dietrich qui part au front (et pas que pour remonter le moral des troupes, elle s’engage vraiment), BB qui abandonne tout pour s’occuper des animaux, Liz Taylor qui lance les récoltes de fonds pour lutter contre le sida ou La Cicciolina qui devient députée au Parlement italien ! Par convention, j’en ai retenu 50 mais, en cherchant bien, parce que toutes ne décident pas de communiquer sur leur deuxième vie notamment, il serait possible de faire un deuxième tome ! De plus, je tenais à ce que mes choix couvrent toute l’histoire du cinéma, des tout-débuts à aujourd’hui, et toutes les régions du monde. Ce qui est le cas.
Quelles sont pour vous les trois femmes majeures de l’histoire du cinéma français ?
Spontanément je dirais Alice Guy, Marguerite Duras et Brigitte Bardot ! Trois facettes inouïes du talent !
Vous avez créé le prix Alice-Guy qui a récompensé pour sa première édition le film de Lidia Terki Paris la blanche, quel a été le déclencheur à la création de ce prix et comment a-t-il été reçu ?
Il ne vous a sans doute pas échappé que les réalisatrices sont les grandes absentes des palmarès de cinéma : une seule palme d’or, un seul oscar, un seul césar…ont été remis à une femme cinéaste (Jane Campion, Kathryn Bigelow, Tonie Marshall). Réaliser n’est pourtant pas qu’un métier d’homme ! Or, si on veut encourager les talents – et cela me semble souhaitable qu’on diversifie les visions de cinéastes afin de mieux représenter la société dans sa complexité à l’écran – il faut aussi les récompenser. Pour l’instant, les grands festivals et les cérémonies annuelles font la sourde oreille (de la résistance?) mais je pense que cela ne durera pas. En revanche, si on ne fait rien, il n’y a aucune raison pour que ça change. Ce prix Alice-Guy, qui récompense le meilleur film de l’année réalisé par une femme, et qui porte le nom de la première d’entre elle, injustement effacée de l’histoire et donc à remettre fissa sous les projecteurs, était une évidence. Il est remis par un jury strictement paritaire (composé en 2018 de la productrice Christie Molia, l’actrice Margot Abascal, la chercheuse Yona Le Caïnec, l’acteur Vincent Dedienne, le journaliste/ documentariste Jean-Pierre Lavoignat et le programmateur Lorenzo Chammah) parmi les 5 films de femmes de l’année qui ont obtenu les plus de vote sur internet. Et pour cette première édition, c’est Paris la blanche de Lidia Terki qui a été choisi par le jury. C’est un très bon choix !
Le Prix Alice-Guy a été très bien accueilli, beaucoup de grands médias (RTL, France Inter, les Inrocks, La lettre A… ) en ont parlé, pour une première édition, nous avons eu vraiment de très beaux soutiens. Lors du Festival de Cannes, j’ai assisté à de nombreuses réunions au sujet de la place des femmes dans le cinéma et j’ai constaté (sans qu’on sache que j’en étais l’initiatrice) que le Prix Alice-Guy apparaissait comme une évidence. Tant mieux ! Il a été remis lors d’une soirée parisienne en avril et à ma grande surprise et satisfaction, nous avons eu plusieurs demandes pour organiser des soirées Prix Alice Guy en province. La prochaine aura lieu le 19 juin au Quai Dupleix de Quimper à leur demande. Fortes de ses bons résultats, nous avons commencé à travailler à la deuxième édition qui aura lieu début 2019, au moment des prix de cinéma (César/ Oscar/ Lumière) .
Que pensez-vous des prises de parole des institutionnels et des professionnels du cinéma qui ont émaillées le dernier Festival de Cannes ? Les choses vont-elles dans la bonne direction ?
Au moins, il y a une prise de parole au sujet de la place des femmes dans le cinéma et elle est internationale. C’est un premier pas indispensable qui s’est pour l’instant surtout manifesté par des discours et des symboles. Il va vite falloir passer à l’action ! Et de sérieuses pistes semblent d’ores et déjà envisagées (la parité des instances de décisions, des commissions, des comités de sélection etc…, pourquoi pas des quotas dans les subventions publiques ? etc. ). Le Prix Alice-Guy est une des conséquences heureuses et positives de cette prise de parole forcément diffuse. J’ai assisté à quasiment tous les rendez-vous de Cannes sur le sujet, et je dois dire que j’en suis revenue optimiste. J’ai l’impression que le phénomène est si massif, et que comme il est enfin relayé par les pouvoirs publics, les mentalités commencent à évoluer. Les ringards, perclus de leur réflexes patriarcaux et misogynes qui sont toujours au postes de pouvoir vont avoir du mal à rester coincés dans leurs certitudes. Même sans le vouloir, ils vont devoir s’adapter (un peu) et adapter leur discours. Comme a dit Asia Argento; “on sait qui vous êtes” et même si on ne vous dénonce pas (Pourquoi ? Je ne sais pas trop en fait), il va devenir difficile de garder les mêmes discours publics, de rester aussi réac sans passer pour un ringard total ! Disons que le regard, la modernité ont changé de camp, rapidement, et ça c’est une bonne nouvelle! Il faut bien sûr aller plus loin, mais comptez sur nous !
Propos recueillis par Franck Finance-Madureira
“50 femmes de cinéma”, livre de Véronique Le Bris – 160 pages – Marest Editeur
“Hedy Lamarr from extase to wifi”, film d’Alexandra Dean – USA – En salles