Lady Vengeance
Le cinéma d’Emmanuel Mouret a souvent été réduit à des marivaudages maniérés et un peu désuets. C’est se concentrer sur la partie visible de l’iceberg : ses muses successives fétichisées (Marie Gillain, Frédérique Bel, Virginie Ledoyen, Virginie Efira ou même l’italienne Jasmine Trinca), le personnage d’inspiration allénienne qu’il interprète souvent dans ses propres films, ou encore ses palettes de couleur alimentant une gamme de comédies douce-amères toujours un peu hors-du-temps. Mais c’est ignorer ce qui fait la force de son cinéma et qui se révèle, de façon relativement contradictoire, grâce à ce premier film en costumes, que ce soit la précision du cadre,une mise en scène qui fuit les effets, une écriture efficace, des dialogues redoutablement ciselés et une direction d’acteurs à couper le souffle.
En adaptant cet extrait de Jacques le fataliste de Diderot plus de 70 ans après la vision modernisée de Robert Bresson (Les Dames du bois de Boulogne, 1945), Mouret recentre la cœur de l’intrigue sur le personnage de Madame de La Pommeraye, trahie par l’impétueux Marquis des Arcis, qui fera de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère, femmes déchues forcées à se prostituer pour survivre, l’objet de sa vengeance cruelle. La mécanique perverse de ce plan dont le degré d’intensité va crescendo, matière qui évoque bien sûr Les Liaisons dangereuses, est admirablement bien servie par l’extrême précision de l’écriture, une réalisation qui évite tous les écueils du “film en costumes” et une interprétation d’une modernité absolue. Les dialogues, qui font la part belle aux argumentations brillantes, expriment, sous couvert d’une éloquence raccord avec l’époque, une cruauté des relations entre les femmes et les hommes qui résonne de façon particulière avec notre époque.
En première ligne, Cécile de France trouve ici son rôle le plus fort depuis longtemps, abordant ce personnage avec un naturel confondant et un sourire immuable que l’on perçoit différemment au fil de la construction machiavélique de sa vengeance : charmant, émouvant de prime abord pour devenir carnassier et presque effrayant. Le reste du casting est au diapason : Edouard Baer est idéal en Dom Juan inconséquent qui ne doute de rien, Alice Isaaz (Mademoiselle de Joncquières, le rôle-titre) est ambivalente à souhait, belle innocente mutique qui se révélera par la parole, et que dire de Natalia Dontcheva (Madame de Joncquières) qui apporte une émotion sans fard à son personnage de femme sacrifiée, et de Laure Calamy, idéale de modernité en confidente de Madame de La Pommeraye, qui, une fois de plus, impressionne par sa capacité d’invention et d’incarnation. Mouret x Diderot, c’est le magic combo surprise de la rentrée !
Réalisé par Emmanuel Mouret. Avec Cécile de France, Edouard Baer, Laure Calamy, Alice Isaaz et Natalia Dontcheva. Durée : 1h49 – En salles le 12 septembre 2018. FRANCE
Photos : Cécile de France et Edouard Baer / Alice Isaaz et Natalia Dontcheva / Pyramide Distribution